La mezzo-soprano Katalin Károlyi

Katalin Károlyi m’avait subjugué il y a huit ans quand elle donna – bien que souffrant d’une angine – Pierrot et Le Marteau dans la même soirée. Quelques semaines Après la parution de son disque Hungarian Songs consacré aux mélodies de Bartók, Kodály et Ligeti (cf.), elle exposait dans une galerie parisienne le fruit de sa sensibilité visuelle : la photographie, d’où notre brève rencontre :

Débuts

« Ma mère était professeur de violon, mon père était physicien nucléaire, j’ai un frère chercheur en mathématiques et une sœur orthophoniste qui est aussi architecte d’intérieur. J’ai voulu devenir professeur de violon moi aussi, mais je suis devenue chanteuse, quasi involontairement.
J’ai commencé à pratiquer le violon à l’âge de cinq ans avec ma mère. J’ai fait partie de la maîtrise de la Radio-télévision hongroise de 10 à 14 ans, avec une première tournée de deux mois et demi au Japon à l’âge de dix ans. Après le collège, au lieu de suivre une formation musicale stricte, je me suis consacrée aux études classiques dans un des meilleurs lycées de Hongrie – j’étais particulièrement intéressée par la biologie et la littérature. Néanmoins, au lycée, j’ai fondé un quatuor à cordes et j’étais membre et soliste de la chorale.
Chaque année nous avons donné un grand concert à l’Académie Franz Liszt de Budapest. Une professeur de chant connue à l’époque, qui assistait régulièrement ces concerts, me proposa de me donner des cours, mais je déclinai : pour moi, c’était le violon et, pour le chant, plutôt le jazz (d’ailleurs je donnais avec notre groupe « Cég », en chantant ou au violon électrique, des concerts de rock alternatif…). Elle me répondit : ‘tout va bien, je t’attends mardi à 14 heures’…
J’ai donc commencé à prendre des cours de chant à l’âge de seize ans. Juste après mon baccalauréat, j’avais à peine 18 ans, j’ai été invitée par le Tomkins Vocal Ensemble dont j’ai ensuite été membre durant quatre ans. Avec le temps, j’ai fini par comprendre et reconnaître que la voix chantée était davantage mon instrument que le violon. C’est alors que j’ai fait la connaissance de ma professeure Anna Pauk (chanteuse, pianiste et contrebassiste), élève de Bartók, dont la musicalité, l’humour, l’humanité et les méthodes continuent toujours de me guider. 

France


En 1990, j’ai participé à l’enregistrement intégrale d’Harmonia Caelestis de Pál Esterházy. Ré-découvreur de la musique baroque d’Europe-Centrale, le musicologue Philippe Beaussant m’a entendu dans cette pièce lors d’un concert en Hongrie et eut l’idée de me suggérer de venir en France travailler avec René Jacobs et Rachel Yakar au sein le Studio Versailles-Opéra. J’arguais du fait que je ne parlais pas un mot de français, mais il a insisté ; deux mois plus tard, j’ai pris ma valise et suis arrivée à Paris – j’y habiterai pendant vingt ans. Débarquant en septembre, je me suis aperçue qu’il n’y avait pas d’audition à cette poque et à 22 ans j’ai dû trouver des emplois alimentaires.
Arrive le mois de mars où j’ai deux auditions – l’une pour la Chapelle Royale de Philippe Herreweghe et l’autre pour le Studio Versailles-Opéra – et j’ai été prise dans les deux cas. J’ai été également enrôlée par le Groupe Vocal de France et un peu plus tardr le chœur Accentus, puis chez William Christie comme soliste mais aussi dans son ensemble Les Arts Florissants. J’ai ainsi commencé ma carrière en France, à la fois comme membre d’ensembles vocaux et soliste, avec les conseils précieux de mes professeures de chant Noëlle Barker et la magnifique mezzo-soprano Júlia Hamari.

György Ligeti et les contemporains

J’avais déjà participé à de nombreuses créations en Hongrie ou en France, jusqu’au grand cadeau de ma vie : ma rencontre avec György Ligeti à Brême en 1997, lors d’une tournée avec William Christie. 
En 2000, il m’a composé et dédié sa dernière œuvre pour voix et percussions : le cycle Síppal, Dobbal, Nádihegyedűvel (« Avec flûte, tambour et violon à roseau »). J’ai eu depuis mon très jeune âge le privilège de travailler étroitement entre autres avec  György Kurtág, Thomas Adès, John Woolrich, Zoltán Jeney qui ont composé pour ma voix et j’ai donné plusieurs centaines de concerts consacrés à des créations et au répertoire contemporain.
Par ce travail intense avec ces compositeurs, j’ai recueilli une grande expérience musicale et humaine. Et oui, il ne faut pas hésiter à aller vers l’autre ! Je ne suis pas très versée dans les sites web ou les réseaux sociaux ; mais, par exemple, il y a quelques années j’entends une musique d’un compositeur d’origine iranienne, Sina Fallahzadeh,  qui m’a beaucoup plu et j’eus le courage de lui écrire, sans doute via Messenger ; il me répondit qu’il y avait des années qu’il pensait écrire pour ma voix, mais n’osait pas me contacter ! Lui et moi nous nous sommes vus à Paris et la première concrétisation de notre projet a eu lieu cette année en clôture du Festival Messiaen avec Spazio Datemi, d’après un poème d’Alda Merini, pour mezzo-soprano, accordéon, vibraphone et violoncelle – avec l’Ensemble Itinéraire, qui fêtait ses cinquante ans. On a créé aussi lors du même festival,  Après la Tempête de la compositrice brésilienne Michelle Agnes Magalhaes. J’ai de nombreux collègues qui pratiquent à la fois le répertoire de musique ancienne et le répertoire contemporain.

Affinités

Bartók bien sûr, mais aussi Marc-Antoine Charpentier ou Lassus, Bach, etc., etc. ! C’est banal, mais le compositeur que je travaille est alors à cet instant le plus important pour moi, comme Thomas Adès et son magnifique song-cycle Növények que l’on vient de créer.
Vous me posez la question de l’opéra plus traditionnel : j’adore en faire, mais cela a parfois été un peu difficile avec les naissances de mes deux enfants : Carmen ou Cenerentola avec un « baby bump », ce n’est pas très crédible… Concernant l’évolution de ma carrière, j’ai tendance à penser que tout est très bien comme çà !

À votre question sur ce que je ferais dans le champ musical si vous me donniez un budget illimité, je crois que ce serait des actions tournées vers l’enfance : jusqu’à un certain âge, les enfants ont une faculté naturelle d’appréhender la musique et, ne serait-ce qu’en Hongrie, pays de grande tradition musicale, on voit que les enfants perdent cet accès et cette curiosité envers la musique ; c’est très dommageable, même du point de vue thérapeutique.

Collègues

Les musiciens sont des êtres sensibles et naturellement nous sommes bien différents les uns des autres : j’ai beaucoup de vrais amis dans le milieu musical, et même lorsque les personnalités sont très différentes il y a toujours le point de connexion le plus fort – la musique elle-même – qui nous permet de travailler ensemble.
Ainsi, avec mon amie pianiste d’origine hongroise Klára Würtz – on se connaît depuis l’époque où elle avait 13 ans et moi 10… on a connu quasiment le même background musical et quand on réalise un projet ensemble, on n’a pas besoin de se parler : on ‘sait’, d’autant qu’elle est une pianiste qui ‘chante’ et c’est un bonheur de ‘musiquer’ ensemble.
Je pourrais citer tant de noms ! Toute jeune encore, j’ai eu de la chance de travailler avec Yehudi Menuhin, son attitude si humble vis-à-vis de la musique et des musiciens m’a marqué pour toujours. Le génie et la personnalité de Reinbert de Leeuw me manquent depuis sa disparition. Avec Thomas Adès, c’est très rassurant de partager la scène. Quand on doit créer une partition aussi complexe que The Importance of Being Earnest de Gerald Barry, avec deux heures de répétition avec le Los Angeles Philharmonic, puis deux heures de générale en tout et pour tout, je pense que ça n’aurait pas été possible sans Tom…
Quel bonheur de travailler avec des musiciens aussi charmants que  compétents, comme ceux de l’Itinéraire, d’ICE aux USA ou les ensembles de percussions avec qui j’ai pu travailler à travers le monde… comme Tambuco de Mexico, si excellents et si humbles à la fois. Mais il y en a encore beaucoup d’autres ; j’ai été ravie d’accueillir pendant mon exposition de photographie des collègues musiciens et chanteurs que je n’avais pas vus depuis 10 ou 20 ans ! 

Photographie

J’ai commencé à faire des photographies très tôt grâce à mon père. Il connaissait et avait tout le matériel nécessaire au développement, donc on faisait les tirages des photos à la maison. J’ai eu mon premier appareil photo à six ans et à dix, je m’étais acheté un petit Olympus lors de ma tournée au Japon… Cette activité était restée plus ou moins latente en moi jusqu’à ma rencontre avec la photographe mexicaine mondialement connue Flor Garduño qui a d’ailleurs été inspirée principalement par la photographe hongroise Kati Horna, amie de Brassaï ou Kertész.
Pour mes images en noir et blanc je préfère la technique d’impression dit « charbon giclé » ou  piezographie*. Cette technique de tirage est aussi chère (certes moins que celle utilisant le platine) que rare. La projection de particules de charbon sur du papier en coton permet un résultat proche de la peinture, très sensible et profond. Pour moi, la vibration de la lumière ou celle du son sont des manifestations différentes de la même existence. ».

* : La piezographie est une technologie d’impression à base d’encre composée de pigments au charbon,  offrant une qualité inégalée pour le tirage d’art en noir et blanc.

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