Kein Licht – Le « Thinkspiel » de Philippe Manoury
Diffusion en direct sur Artetv ce soir à 20h
Soirée réussie hier soir à l’Opéra comique, qui portait finalement bien son nom à cette occasion (il suffit d’apercevoir sur la photo Philippe Manoury ayant dû enfiler des bottes pour venir saluer le public – nombreux – sur une scène passablement inondée).
Pour rester dans l’humour, très présent dans l’ouvrage, comme je sais que Philippe Manoury abhorre la Turangalila, que Boulez avait qualifiée en son temps de « musique de bordel », on imagine le même sortant du spectacle en déclarant « »ce n’est pas de l’opéra, c’est le Magic Circus ! ». La mise en scène ne se prive pas en effet d’une série d’événements propres à relancer l’intérêt du public, tel le chien savant qui jappe sur commande (l’opéra devient animalier comme avec le taureau dans Moïse), les chanteurs ou acteurs se promenant dans le public ou les acteurs l’haranguant, le compositeur lui-même présentant son œuvre à la fin de la 1e période devant le public ou, à celle de la 2e, sur un écran vidéo, etc.
Mais là n’est pas l’essentiel, ni le texte d’Elfriede Jelinek sur l’accident de Fukushima, volontairement abscons, complété trois mois avant la création d’un texte inspiré par l’élection de Donald Trump d’où les sous-titres : 2011 (l’accident nucléaire) / 2012 (après l’accident) / 2017 (Trump).
Cette oeuvre présente plusieurs caractéristiques originales :
- Elle a été conçue de façon modulaire, le choix de l’ordre des séquences se faisant ‘au fil de l’eau’ avec notamment le metteur en scène ; elle peut ainsi varier d’une représentation à une autre.
- Elle fait appel aussi bien au chant – du récitatif à l’envolée lyrique, au parlé, au parlé-chanté qu’à des chœurs.
- Elle est chantée en allemand mais aussi parfois en français – elle se termine façon Les Adieux » de Haydn.
- Elle fait appel à l’informatique en temps réel, la voix étant même traitée pour produire une musique « autonome » basée sur des chaînes de Markov (cf. la conférence inaugurale de P. Manoury au Collège de France cette année). La technique, maniée de sa console par le compositeur devient un acteur à part entière.
- C’est une œuvre hybride mêlant la théâtralité qui interpelle et la musique et le chant qui séduisent.
- Pas de mort de la soprano ou du ténor à la fin… d’ailleurs il n’y a pas de personnage à proprement parler, les deux acteurs se nommant A et B.
En résumé, une soirée originale, vivante, pleine de trouvailles, d’humour et de drame. Une musique superbe, avec des cuivres pétaradants, des modes de jeu très variés, des références à Mahler (une mesure du 4e mouvement de la 3e à la fin, égrenée de façon lancinante au piano ou même « l’intro » du trompettiste au tout début comme pour la 5e), à Wozzek et même R. Strauss ; une musique que l’on pourrait même parfois qualifiée de « swinguante ».
Prestation remarquable de l’ensemble instrumental luxembourgeois, superbement dirigé par Julien Leroy et particulièrement celle des deux chanteuses Christina Daletska et Olivia Vermeulen.
Succès mérité pour un spectacle aussi vivant qu’interpellant, peut-être un ou deux « tunnels » vers la fin des 2e et 3e périodes.
Sarah Maria Sun, soprano ; Olivia Vermeulen, mezzo-soprano ; Christina Daletska, contralto ; Lionel Peintre, baryton ; Caroline Peters, Niels Bormann, acteurs ; Chien "Cheeky" (dressage Karine Laproye) ; Quatuor vocal du chœur du théâtre national croate de Zagreb ; United Instruments of Lucilin ; Julien Leroy, direction ; Nicolas Stemann, mise en scène.