Interview de la pianiste Élodie Vignon

J’ai souhaité faire cette rapide interview d’Élodie Vignon non pas pour des questions d’homonymie mais parce que j’ai été séduit par ses deux derniers CDs (Dutilleux /Ledoux et Albeniz/Liszt).
Interview téléphonique car cette lyonnaise s’est installée à Bruxelles depuis 17 ans

Débuts

J’ai eu un coup de foudre pour le piano à l’âge de quatre ans quand ma mère a acheté un piano ; j’ai commencé à jouer avec elle et, à 7 ans, j’ai déclaré que je voulais devenir pianiste… J’ai une profonde affinité avec le piano et je n’aurais probablement pas vécu la même fusion avec un autre instrument.
Après mes études au Conservatoire de Lyon, j’ai  rencontré à 19 ans le pianiste Daniel Blumenthal lors d’un concours et j’ai rejoint sa classe au Conservatoire de Bruxelles (professeur au Conservatoire néerlandophone de Bruxelles). J’ai eu l’impression que l’on m’ôtait des œillères, car on y rencontrait des gens de toutes origines, avec des parcours très divers : cela me paraissait moins formaté qu’en France. Comme mon cursus s’est bien passé et que j’ai noué des liens avec des collègues et des professeurs, j’ai très vite décidé de rester à Bruxelles, d’autant que mon futur mari, pianiste aussi, y résidait aussi. C’est un pays qui m’a bien accueilli où je sens avoir ma place, bien que d’origine française.

Fondation Bell’Arte – Philippe Entremont

À la sortie du Conservatoire, j’ai eu l’occasion de faire un stage à la Fondation Bell’Arte. J’ai rencontré les fondateurs, Nelson Delle-Vigne Fabbri et son épouse. Nelson a étudié en Argentine avec Claudio Arrau en même temps que son frère, lui aussi brillant pédagogue. C’est un pianiste d’origine argentine qui a fait une immense carrière internationale et qui également a été longtemps directeur artistique pour divers labels, tout en enseignant à l’Ecole Normal Alfred Cortot de Paris ; il a donc cette double expérience de la scène et du disque et c’est un mentor hors pair, capable aussi bien d’enseigner à des jeunes pianistes que de préparer des plus âgés à des concours internationaux, ou des pianiste en carrière à des événements importants.
La Fondation organise des stages et des master classes à travers le monde ; c’est grâce à eux que j’ai vraiment commencé à jouer en public, notamment avec orchestre. Philippe Entremont en était le président et j’ai pu notamment jouer les deux concertos de Chopin sous sa direction. Il n’avait curieusement jamais joué lui-même ces concerti en public, mais pour une jeune pianiste, jouer sous la direction de quelqu’un qui a une si grande expérience était très rassurant et porteur. Dès mon premier cours avec lui sur la Sonate Pathétique de L. van Beethoven, j’ai su que j’apprendrai beaucoup à son contact. J’aime beaucoup son côté presque enfantin : il s’amuse en jouant et avec lui la musique est comme une évidence, simple et naturelle. En tant que Président de la fondation Bell’arte de 2005 à 2015, Philippe Entremont a beaucoup voyagé avec nous aussi, j’ai souvent remarqué sa fierté d’être français et de faire vivre un héritage de cette appartenance, notamment quand il s’écria « Ah.. la France ! » un jour où j’entrais sur scène en robe blanche à Madère.

Répertoire

J’essaie de faire des choix de répertoire qui aient une certaine cohérence. Je suis partie du compositeur dont je me sens la plus proche, Claude Debussy, et j’ai développé mon répertoire en quelque sorte en étoile à partir de là. J’ai toujours un Beethoven dans les doigts, j’aime le répertoire classique, la musique française de l’époque de Debussy : Ravel, Dukas, Poulenc, Dutilleux puis Messiaen. Également les romantiques, notamment Chopin que je trouve très proche de l’esthétique française, mais aussi Brahms, que j’ai beaucoup travaillé. J’aime aussi beaucoup la musique contemporaine, c’est un langage qui me parle et j’aime travailler avec les compositeurs, même si je n’en fais pas autant que je voudrais car ce n’est pas si facile à intégrer dans des programmes.
J’ai le projet de jouer tout Debussy dans les deux ou trois prochaines années. Vous me demandez qu’il y a des compositeurs que je ne jouerai jamais ; je ne veux pas dire ‘jamais’ car on ne sait pas ce que l’avenir propose, mais il est probable que je n’enregistrerai jamais la musique  de Bach qui est pour moi l’Himalaya de la musique. En revanche, il est important de travailler différents répertoires : je travaille des œuvres que je ne joue pas en public. Et de toutes façons, quand on enseigne, on est obligé de connaître une large partie du répertoire, même les choses qui vous parlent le moins. J’ai eu la chance de jouer avec orchestre, mais évidemment, c’est une logistique pour pouvoir y accéder de manière régulière. Ma prochaine échéance est en novembre 2022 où j’interpréterai le 2ème de Saint Saëns sous la baguette de E. Lederhandler.

Enseignement

À mon arrivée à Bruxelles, j’ai commencé à donner des cours dans des écoles, puis je me suis mise à mon compte ; je suis de plus en plus invitée pour des master classes ou des jurys et j’ai d’anciens élèves qui reviennent prendre des cours pour préparer des entrées au conservatoire ou des concours. Je donne un peu moins de cours maintenant, recevant plus d’engagements, mais c’est essentiel pour moi de propager l’appétit de musique.

Le Trio Khnopff

Avec mes collègues Sadie Fields (violon) et Romain Dhainaut (violoncelle), j’ai rejoint le trio en octobre 2019, autant dire que la pandémie a mis à l’eau une tournée de concerts en Chine et un début au Conway Hall de Londres. Mais suite à leur premier enregistrement du Trio de Weinberg, nous continuons à explorer cette période de fin XIXème, début XXème, qui est l’époque de ce peintre belge qu’était Fernand Khnopff. Nous jouerons cette saison notamment un programme Fauré Clarke dans la belle programmation des concerts de Midi de Liège ainsi qu’un récital consacré aux compositrices (Clarke, Boulanger et Beach) au Palais des Beaux arts de Charleroi.

Panthéon pianistique

Je mettrais Claudio Arrau dans les premiers, j’écoute toujours beaucoup Arthur Rubinstein avec sa tendresse qui déborde ; j’ai beaucoup d’admiration pour Sviatoslav  Richter même si je m’en sens moins proche – chez les Russes, mon Dieu est Emil Gilels. Dans ceux que j’ai entendus et qui m’ont bouleversée, il y a Radu Lupu : la première fois, c’était quand j’avais 18 ans au casino d’Aix-les-Bains et j’ai pleuré d’un bout à l’autre. La dernière fois que je devais l’entendre à Bruxelles, le 1er mai 2019, il a été remplacé au pied levé par Elisabeth Leonskaïa, qui était sublimissime, avec une coupure de courant au beau milieu de la dernière sonate de Schubert : elle s’est arrêtée deux secondes, puis a repris dans le noir comme si de rien n’était… Dans les jeunes pianistes d’aujourd’hui, je trouve que beaucoup forcent l’admiration pour leur maturité et leur capacité de travail pour avoir un répertoire déjà gigantesque très jeune. J’écoute peut-être davantage les disques de mes connaissances ou amis (Antonio Galera, Vittorio Forte, Béatrice Berrut, Matthieu Cognet, François Dumont, pour n’en citer qu’une poignée). J’ajouterais Alicia de Larrocha, incroyable de finesse dans la musique espagnole.

Projets

La gestion de la période post-Covid est assez difficile entre anciens projets reportés et nouveaux. 
Il y a un spectacle que j’ai monté avec le danseur et chorégraphe Nono Battesti, intitulé « Entre Temps », avec la sonate et les trois préludes de Dutilleux, que nous avons créé en juin 2021 et qui sera finalement joué durant ces deux saisons.
J’ai un prochain disque à sortir en mai 2022, toujours pour les 30 ans du label Cypres, avec la contralto française Sarah Laulan, programme intitulé « Sangs », qui reprend des compositeurs qui revendiquent leurs racines en s’inspirant de mélodies populaires et folkloriques : de Falla, Dvořák, Honegger, Milhaud, Ginastera, Montsalvage ou Cage par exemple.
À l’automne, les Festivals de Wallonie m’ont demandé de faire un programme autour des années folles, à partir d’œuvres de Ravel et Milhaud, avec justement le Trio Khnopff, Sarah Laulan ainsi que la flûtiste Laure Stehlin.
J’ai également un projet plus lointain de disque avec orchestre autour de compositrices qui ont un lien très fort avec l’école française.

Crédit photo : Lara Herbinia

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