Programme 1. Clair de lune (1890) 2. L’Isle Joyeuse (1903-1904) Images, 2e série (1907) 3. Cloches à travers les feuilles 4. Et la lune descend sur le temps qui fut 5. Poissons d’or Préludes, Livre I (1909-1910) 6. I. Danseuses de Delphes 7.II. Voiles 8. III. Le Vent dans la plaine 9. IV. « Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir » 10.V. Les Collines d’Anacapri 11. VI. Des pas sur la neige 12. VII. Ce qu’a vu le vent d’Ouest 13. VIII. La Fille aux cheveux de lin 14. IX. La Sérénade interrompue 15. X. La Cathédrale engloutie 16. XI. La Danse de Puck 17. XII. Minstrels 18. La plus que lente L.121 (1910)
« On ne devrait composer que pour les pianos Bechstein » aurait dit Debussy. Véronique Bonnecaze a choisi avec à propos un Bechstein de 1900 pour enregistrer ce disque. S’il a une sonorité très légèrement « fêlée », c’est un bonheur de précision et de sonorités contrastées, tout l’inverse du piano de location sur lequel elle jouait hier soir lors d’un récital à France-Amériques.
Véronique arrive en retard : ce récital a été enregistré à la date exacte de l’anniversaire de Claude de France (25 mars 1918) mais ne paraît que ces jours-ci. Comme pour Carnaval ou Funérailles, je n’aurai pu inclure ses interprétations dans mon papier sur L’Isle joyeuse ou dans ma comparaison de 160 versions de La Cathédrale engloutie. Ce récital est publié après deux albums d’anciens parus en 2018 et qui m’avaient assez emballé, au contraire de nos chers critiques qui les avaient éreintés : Pollini et Barenboim (qui figuraient dans mon quatuor de tête pour la Cathédrale d’ailleurs).
J’espère que l’on va enfin reconnaître Véronique Bonnecaze comme une interprète majeure avec ce CD. Une première remarque : certains tempi sont relativement lents (par exemple pour Clair de lune : Barenboim : 4’19, Gulda : 5’24, Bonnecaze : 5’59). Mais on ne sait que louer, ou plutôt si : outre la qualité du toucher, c’est la gestion du temps, l’organisation qui sont remarquables – et pas de flou ou de murmure : les lignes sont chantées dans toute leur lumière.
Outre un superbe Clair de lune donc, L’Isle joyeuse me fait déjà mentir sur ses tempi : c’est enlevé, virtuose (trilles), avec une superbe carrure d’ensemble, une maîtrise des couleurs, c’est tout simplement magnifique. Elle me fait penser à un de mes interprètes préférés de Debussy : Monique Haas, mais avec plus de variété de jeu et de timbres.
En plus l’alliance de son toucher, la qualité du piano et l’excellence de la prise de son en font un bonheur pour l’oreille… Hier soir, le présentateur de la soirée évoquait le poncif de Debussy impressionniste ; je remets ici (cf.) la citation de Kandinsky en 1911 :
"Les musiciens les plus modernes, comme Debussy, reproduisent des impressions spirituelles qu’ils empruntent souvent à la nature et transforment en images spirituelles sous une forme purement musicale. Debussy est parfois comparé très justement aux Impressionnistes, car on prétend que, de la même manière que ces peintres, il interprète librement la nature dans ses compositions, à grands traits personnels. La vérité de cette affirmation n’est qu’un exemple du profit réciproque que les différentes branches de l’art tirent les unes des autres, ainsi que de l’identité de leurs buts. Il serait cependant téméraire de prétendre que cette définition suffit à rendre compte de l’importance de Debussy. Malgré cette affinité avec les Impressionnistes, il s’est si fortement tourné vers le contenu intérieur que l’on reconnaît immédiatement dans ses œuvres le son fêlé de l’âme actuelle avec toutes ses souffrances et ses nerfs ébranlés. Et par ailleurs Debussy ne recourt jamais, même dans ses œuvres "impressionnistes", à une note tout à fait matérielle qui est la caractéristique de la musique à programme et se borne à exploiter la valeur intérieure du phénomène".
Je ne vais pas détailler toutes les merveilles écoutées dans les Préludes I, juste citer une Sérénade interrompue Iberia à souhait ou une danse de Puck si bien acérée ou encore Ce qu’a vu le vent d’Ouest si lisztien.
Et la Cathédrale engloutie dans tout ça ? Elle se situe plutôt dans les versions lentes, elle est épatante par sa gestion du temps, des plans sonores et encore une fois que de poésie avec ce piano… Une version toute symboliste, symbolisme qui finalement imprègne tout l’album. (et quels merveilleux Pas sur la neige ..;).
Malgré les CD cités ou ceux excellents de Jonas Vitaud et Célimène Daudet, finalement ce serait bien le disque de piano debussyste de l’année 2018 !