Rencontre avec le chef d’orchestre Enrique Mazzola

C’était un jour spécial pour le chef Enrique Mazzola ce jeudi 14 juin 2018 : il venait de recevoir le matin au Panthéon la citoyenneté française des mains du préfet :  » I was very moved to be one of the six people who were able to receive it from the hands of the prefect, especially since in his speech he made the parallel between two naturalized: the German Offenbach and me, the Italian, or the  musique des Gardiens de la paix playing his Barcarolle « . (Cf. interview)

Youth – Studies

TV : I read that your parents were musicians?

EM : Mes parents naturels [EM est né en Espagne] et mes parents d’adoption étaient musiciens. Ma première famille était issue du Liceo de Barcelone et mon père italien de la Scala de Milan (il était chef de chant). J’ai commencé à sept ans le violon, à neuf ans le piano, à quatorze ans la composition, enfin la direction d’orchestre vers dix-huit / dix-neuf ans. En fait j’ai eu plus de succès en classe de composition que dans celle de direction d’orchestre – les gens pensaient que je deviendrais compositeur et que je dirigerais éventuellement mes partitions. Mais j’étais depuis l’enfance projeté vers la direction d’orchestre : j’ai étudié violon, piano et composition en vue de la direction d’orchestre. En fait, au Conservatoire Giuseppe Verdi de Milan, il fallait avoir fait sept ans de cours de composition pour accéder à la classe de direction d’orchestre.
Ma grand-mère était harpiste au Liceo de Barcelone ; elle m’offrit des partitions d’orchestre quand javais sept ans : Roméo et Juliette ou Francesca da Rimini de Tchaïkovski et des poèmes symphoniques de Richard Strauss et elle me disait : ‘je suis sûre que tu vas être un grand chef d’orchestre’. Elle mettait des vinyles de Karajan, me donnait la partition, une petite baguette et me disait : dirige ! Elle corrigeait parfois mes gestes ; elle m’a beaucoup soutenu dans, disons, la naissance de l’idée de devenir chef d’orchestre. Peut-être que sans elle j’aurais fait autre chose dans ma vie.
À peu près à la même période, j’ai commencé à chanter dans la maîtrise de La Scala ; quand j’ai été dirigé par Claudio Abbado – dont je ne soupçonnais aucunement son statut de grand chef international à l’époque… – je me suis dit : je veux faire la même chose que ce monsieur !

Mes études de piano, de violon et de composition m’aident beaucoup dans mon travail de direction d’orchestre : le piano permet de communiquer et de travailler avec des chanteurs ou d’indiquer des détails que l’on souhaite aux musiciens : le piano est un résumé en quelque sorte ; le violon, car on peut travailler les coups d’archet dans le détail : on peut ainsi régler les aspects techniques de près de cinquante musiciens, soit la moitié de l’orchestre ; enfin, la composition permet d’appréhender pourquoi un compositeur a écrit telle ou telle pièce ainsi que sa structure musicale.

J’avais pour professeur Azio Corghi lors de mes dernières années d’étude de composition. On devait préparer une pièce toutes les deux semaines, que je devais jouer au piano devant mes dix-neuf camarades de classe. Il me disait ‘Enrique, tu as toujours le geste musical’, sans doute parce que j’ai grandi dans l’opéra, dans la dramaturgie : même dans des pièces pour piano ou petit ensemble, j’avais toujours une histoire à raconter en quelque sorte. J’ai fini en remportant le premier prix de composition. Azio Corghi et le Directeur du Conservatoire, Marcello Abbado – le frère de Claudio – étaient persuadés que j’allais embrasser la carrière de compositeur.

Débuts

J’ai commencé à diriger professionnellement à l’âge de vingt-cinq ans, avec l’orchestre de chambre i Pomeriggi Musicali, l’équivalent de l’Orchestre de chambre de Paris, qui s’appelle ainsi parce qu’au début, ils donnaient leurs concerts l’après-midi (Pommeriggi). Mais mes sept premières années de carrière n’étaient pas très développées car que ce soit en symphonique ou en opéra, je ne dirigeais qu’en Italie. Ce n’est qu’au début des années 2000 que j’ai commencé une carrière internationale. Mon agent de l’époque me disait : mais tu as de très beaux cachets à Naples, Palerme, Catan, Rome, etc. pourquoi aller gagner moins à l’étranger ? Alors, j’ai changé d’agent et j’ai commencé à l’Opéra de Bordeaux ou à Stuttgart. René Koering m’a alors remarqué et j’ai participé au Festival de Radio France à Montpellier, puis cela m’a amené à diriger l’Orchestre National d’Île-de-France (ONDIF), etc.

Répertoire

TV : j’ai consulté votre site, votre répertoire est impressionnant !

EM : Vous trouvez vraiment ? L’autre jour j’entendais que le chef italien, plus âgé que moi, Donato Renzetti (1950*), avait 80 opéras à son répertoire ; je me suis amusé à compter, j’en suis à 70 ! En fait ma carrière a connu une forte accélération ces dix dernières années.

TV : Vous donnez combien de concerts par an, tous genres confondus ?

EM : Difficile à dire : quand je dirige à Glyndebourne, c’est déjà seize représentations ; au Festival de Bregenz, quinze, chaque programme à l’ONDIF, c’est six ou sept concerts ! Disons une soixantaine par an.  Je déchiffre très rapidement : si vous me dîtes que je dois diriger demain après-midi la 1ère suite de Daphnis – je n’ai dirigé que la deuxième jusqu’ici – j’arriverai prêt à la diriger.  J’ai donné récemment Maria Stuarda à l’Opéra de Zurich, j’ai dû mettre trois jours à la déchiffrer, il est vrai que je suis rompu à ce répertoire, j’en connaît le style et les formules. Je mémorise un peu plus lentement ; je dirige souvent par cœur le symphonique, mais à l’opéra le chef devrait toujours à mon avis dirigé avec la partition : il ne peut mettre en péril à cause d’une erreur tout le travail de tant d’intervenants. C’est la même chose en concerto par respect pour le soliste, qui souvent joue par cœur.

Actualité

Je viens d’être nommé Premier chef invité pour quatre saisons au Deutsche Oper de Berlin.  J’y ai déjà donné le Barbier de Séville et le Vaisseau fantôme, opéra de Pierre-Louis Dietsch, Falstaff et un cycle Meyerbeer, notamment Le Prophète mis en scène par Olivier Py.
Je donnerai en fin d’année Les contes d’Hoffmann et auparavant un concert de gala télédiffusé au profit de la recherche sur le SIDA ; je ne suis pas un grand fan des concerts de gala, mais vue la cause et du fait que je suis leur nouveau chef invité, j’ai accepté volontiers. J’ai à Berlin une étiquette de spécialiste de l’opéra français et je vais donc en diriger beaucoup – alors qu’au Met ou à New York, je suis considéré comme une spécialiste du bel canto. Depuis que je suis en France – et donc devenu français : – j’ai beaucoup élargi mon répertoire et l’on ne me cantonne plus à un chef italien symphonique et spécialisé dans le bel canto. L’an passé, j’ai fait mes débuts avec l’Orchestre de San Paulo, avec un programme Ravel et Debussy. 

TV : Admettons que je sois tout puissant et vous fait deux propositions : ou diriger l’Opéra de Vienne mais interdiction de faire du symphonique ou être chef de la Philharmonique de Berlin, mais interdiction de diriger des opéras, que choisissez-vous ?

EM : La deuxième évidemment, mais cela dépend de la maison d’opéra : Vienne est une maison d’opéra de répertoire, comme le Staatsoper Berlin ou le Metropolitan de New York : les créations y sont magnifiquement préparées, mais le répertoire est donné sans répétition et n’atteint pas un niveau excellent. D’autres maisons d’opéra comme le Lyric Opera de Chicago sont ‘à l’italienne’ : par exemple, pendant un mois on ne joue que I puritani, l’orchestre ne joue que cela, de la première répétition à la dernière représentation. Donc, pour votre question, il faudrait choisir une maison d’opéra de production (stagione) et pas de répertoire. Il m’est arrivé de diriger L’elisir d’amore au Met avec une seule répétition, l’année prochaine, à Vienne, Don Pasquale sans répétition ; on a alors juste la possibilité de tout coordonner, mais pas celle de donner une empreinte artistique. Inversement, le Festival de Glyndebourne me donne six semaines de répétitions avec l’Orchestre Philharmonique de Londres pour monter le programme de mon choix… Alors si votre alternative avait été entre Glyndebourne et Berlin, là, je commencerais à réfléchir ! Je ne suis pas un chef de répertoire, mais donc de production : j’aime produire, créer un spectacle ; je connais d’excellents collègues qui pratiquent le répertoire et qui sont contents de donner de beaux spectacles ; pour moi ce n’est pas suffisant, j’ai besoin de créer, d’apposer ma signature. Si vous regarder mon calendrier, j’ai surtout de nouvelles productions ; on se rencontre avec le metteur en scène un ou deux ans auparavant, on se met d’accord sur le concept sur l’édition, les coupures éventuelles, le style, moderne ou plus traditionnel. Aller lever la baguette, toucher son cachet et rentrer chez soi, ça ne m’intéresse pas, j’ai besoin, sinon d’atteindre, mais au moins de viser l’excellence.

L’ONDIF

Je vais vous quitter pour les répétitions de La Cenerentola avec l’ONDIF. Mon histoire dans l’opéra à Paris est liée au Théâtre des Champs-Elysées, et j’y suis fidèle. Tout a commencé sous Dominique Meyer avec Fasltaff.

Je suis très heureux du partenariat entre l’ONDIF et la Philharmonie. L’Orchestre national d’Île-de-France est peut-être celui qui a le plus participé au projet de Laurent Bayle, car l’orchestre a l’habitude de jouer en banlieue ; quand nous jouons à la Philharmonie, 50% du public vient de la banlieue.

TV : J’ai apprécié le côté pédagogique et « relax » de vos concerts.

EM : Surtout avec la musique contemporaine : le dernier concert j’ai expliqué pour quoi juxtaposer Memoriale de Boulez et le Requiem de Verdi, le public aime bien qu’on lui explique le pourquoi du programme. Il faut descendre du podium, non pour faire du populisme, mais pour partager avec le public. Le plus grand prix que le musicien peut recevoir ce sont les applaudissements. Il y a dix ans j’ai commencé à arrêter de jouer des œuvres comme un défi personnel, mais pour intéresser le public, communiquer avec lui. Lors de mon dernier concert avec le London Philharmonic orchestra, j’avais dit au general manager Tim Walker que je souhaitais prendre le micro quelques minutes avant le concert (extraits de Tosca et Respighi) ; il me dit non, ça ne se fait pas à Londres, mais finalement cinq minutes avant il me donna son accord. Le public était au début pétrifié, me prenant comme un fou, puis j’ai expliqué les cloches de Rome dans Tosca, les cloches dans les Pins de Rome et ça a été finalement un succès.

Musique contemporaine

Je trouve que ce n’est pas honnête, en tant qu’interprète, de décider quel style de musique doit être connu du public. Il m’a fallu beaucoup de réflexion : j’avais suivi l’enseignement d’Azio Corghi, style très structuraliste et dodécaphonique ; mais depuis dix ans, j’ai découvert des compositeurs qui, au travers d’une musique un peu plus tonale, sont capables de transmettre de magnifiques émotions. J’ai beaucoup ri quand j’ai réalisé qu’en France vous étiez encore cristallisés sur les chapelles ; il faut faire connaître tous les styles, diversité que je cherche dans les commandes de l’ONDIF. Il y a de la bonne et de la mauvaise musique dans tous les styles.
On a déjà édité trois CD avec l’ONDIF et trois autres sont planifiés, mais je ne peux pas en parler pour l’instant. Durant mon mandat, je veux certes assurer sa mission francilienne, c’est la base, mais aussi cherché à le faire reconnaître comme un orchestre français très actif.

Technique

Je dirige « sur le temps » notamment du fait que je dirige beaucoup de répertoire italien. C’est parfois difficile de le faire accepter aux orchestres allemands par exemple : quand j’ai dirigé Rossini à Berlin, je leur ai dit : Mesdames et Messieurs, s’il vous plaît, inscrivez sur la première page de la partition : Enrique Mazzola dirige avec la baguette.

Panthéon

La réponse est immédiate : Kleiber, Abbado.  La façon de sourire de Kleiber m’est toujours restée, même dans le Sanctus du Requiem de Verdi.

Discographie

CD / DVD

 

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