J’étais impatient de voir sortir ce CD consacré à la musique de Régis Campo, enregistré fin 2017.
Street-Art – J’avais assisté à sa création à Nanterre par les mêmes interprètes, un peu comme sonné et abasourdi. C’est une pièce pour 12 instruments (2015-2017 : flûte, clarinette, trompette, piano et clavier, deux percussions, deux violons, alto, violoncelle et contrebasse), un peu plus longue que celle de son « frère aîné » Pop-Art, qui date de 2002, mais d’une inventivité constante qui apporte tensions et détentes à ce qui manque souvent aux œuvres à caractère répétitif. Du chaos primitif de l’œuvre à sa conclusion endiablée, on est pris tout au long de cette sorte de tourbillon motorique et urbain (au sens premier du terme, pas au second !).
Régis Campo, dans le livre que je lui ai consacré :
« Dans Street-Art, je réutilise ce procédé sur une échelle plus grande et quinze ans après [Pop-Art]. Je joue avec ce mauvais genre, mais je rejoins aussi la pulsation bête et poussive de groupes de musique techno comme Daft Punk. Cette œuvre va vers cette idée du mauvais son, de la couleur criarde, des aérosols projetée sur les murs. Plusieurs mots proches du Street-Art se bousculaient dans mon cerveau pendant la composition de cette œuvre : mosaïque, trico-tag, calligraphie et geste magique, graffitis et tags musicaux, fat cap, throw-up, block-letters, culture hip-hop, New York, mauvaise herbe, pixel, jeux vidéo, plusieurs artistes comme Banksy, Invader, JR. Il faut beaucoup d’efforts et de sophistication pour retrouver l’âme d’une musique viscérale, rudimentaire et binaire. Cette musique-là me fascine et la musique de création d’aujourd’hui doit la vampiriser et la transcender à l’instar d’un Stravinsky fantasmant sur la forme pauvre du ragtime. »
Suit Sometimes in the heart sur un poème d’Emily Dickinson pour mezzo et piano : comme une chanson populaire à la mélodie entêtante.
Oh, Sweet Kisses pour clarinette seule est comme une grande mélopée volubile où les modes de jeux contemporains s’intègrent parfaitement au discours de l’instrumentiste.
Rivi simplicitate extrait de Myterium sumplicitatis – 5 pièces faciles pour piano (2013) : une pièce d’une simplicité trompeuse, mélancolique, un peu comme un Satie rêvé.
Steamy Punk(2017) pour flûte seule est devenu un classique de l’instrument, servant parfois de pièce de concours.
Pop-Art pour flûte, clarinette, violon, alto, violoncelle et piano est une pièce qui a maintes fois été jouée, parfois sans chef d’ailleurs. J’avais assisté à l’enregistrement et trouve encore le tempo un peu retenu, mais les musiciens de l’ensemble TM+ y sont excellents et confèrent à la pièce le statut définitif d’un classique de notre temps.
Les Morgensten Lieder (2015) sont comme une quintessence du génie de Régis pour la voix : pureté de la ligne vocale avec un accompagnement lancinant au piano, sans une seule note de trop. Voix de cristal de la mezzo Sylvia Vadimova.
Érotique rotative pour piano (2015) : le pianiste siffle, chante, bécote même, à tel point que l’on a l’impression d’avoir affaire à deux personnages distincts. Superbe Julien Le Pape.
Enfin Une solitude de l’espace (pour sept musiciens d’après The Life & Soul of his Imagined Landscape – 2017) : on est transporté dans un monde onirique, très loin du tumulte de Street-Art.
Un grand bravo aux musiciens de TM+ dirigés par Laurent Cuniot. Le CD paraît le 28 juin prochain, on peut le pré-commander ici.
En l’attendant, un récent chef d’œuvre de Régis Campo, Dancefloor with pulsing pour thérémine et orchestre :