Entretien avec le pianiste Jean-Baptiste Doulcet

C’était le 8 octobre dernier : un récital du pianiste Jean-Baptiste Doulcet au Musée Guimet dans le cadre de la saison des Pianissimes. À de superbes Kreisleriana succédait une lecture aussi intelligente que d’une grande maîtrise technique d’Après une lecture du Dante. J’ai été tellement emballé que je lui ai proposé de se rencontrer.
4e Prix et Prix du public lors du Concours Long-Thibaud 2019, Jean-Baptiste Doulcet est à la fois soliste, chambriste, compositeur et improvisateur.


Parcours

JBD : Mon père donnait des cours particuliers de piano ; il m’a mis au piano très jeune à quatre ou cinq ans, m’a poussé à aller au conservatoire (l’École normale en fait), a trouvé les moyens de me mettre dans les mains de professeurs intéressants. J’ai l’oreille absolue, très jeune je pouvais rejouer au piano ce que je venais d’entendre et, dès le début, j’ai été attiré par l’improvisation.

Je suis entré au Conservatoire dans les classes d’improvisation de Jean-François Ziegel et Thierry Escaich vers quatorze ans. En fait, j’ai tout fait à l’envers, je travaillais parallèlement le piano mais pas d’une façon structurée et l’improvisation n’aidait pas. Je suis entré ensuite en classe d’écriture au CNSM, puis en musique de chambre et finalement piano seul. J’ai ainsi fait mes cinq ans au CNSM, notamment avec Claire Désert. J’ai aussi bénéficié d’une année en Finlande pour mon master 1, dans le cadre d’Erasmus. Les trois premières années, je partais un peu dans tous les sens, mais Claire Désert a su me guider, me faire travailler les fondamentaux.

Durant cette année en Finlande, j’ai rencontré une professeur dans un pays voisin, la Suède :  Julia Mustonen-Dahlkvist, qui enseigne dans un campus au cœur de la forêt suédoise et qui est mon professeur depuis plus de deux ans. Elle m’a enseigné des aspects plus profonds de la musique et du piano en termes de son, de structure, de technique, de phrasés. Ayant quelques difficultés avec la rigueur du travail, je me suis fixé des objectifs, à savoir me présenter à des concours de piano : Maria Canals à Barcelone, puis Clara Haskil l’an dernier où je suis arrivé en demi-finale et où j’ai eu un prix, suivi donc du Long-Thibaud-Crespin où ce travail a véritablement ‘payé’.

Improvisation

TV : Pour aborder le répertoire, est-ce que le fait d’être un improvisateur est un atout ?
JBD : Oui mais ça peut être à double tranchant ; c’est sous doute ce qui fait ma particularité quand je joue, car cela aide à rejeter certains dogmes liés à la ‘tradition’ et finalement la plupart des compositeurs étaient également improvisateurs ; je ne peux pas en donner un meilleur exemple que le Dante ! Par contre, l’improvisation, c’est un sentiment d’une grande liberté qu’il faut tout de même savoir un petit peu restreindre quand on aborde une partition du répertoire. Je suis aussi un excellent déchiffreur, ce qui est certes très utile, mais il faut prendre garde à ne pas se laisser aller à la facilité, au ‘tout acquis’, et continuer à chercher de creuser les partitions, le texte, le sens, son interprétation. Je ne cherche pas à « monter » énormément de pièces, mais à approfondir des grandes œuvres, en les donnant plusieurs fois comme le programme de l’autre soir au Musée Guimet.

Le disque

J’ai enregistré un disque live en 2017 dont j’étais assez content, avec du Schumann, du Beethoven et des improvisations sur des thèmes donnés par le public.
J’ai un projet de CD, mais je ne peux en dire beaucoup plus pour l’instant.

Carrière

Je donne un certain nombre de concerts, même si c’est un peu trouble ces temps-ci avec l’épidémie. J’accompagne aussi la classe de violoncelle de Marc Coppey au CNSM depuis trois ans. Après le concours Long – Thibaud, j’étais parti sur la base d’une vingtaine de concerts pour cette année, ce qui me convient parfaitement. J’aime avoir le temps de monter des programmes, et aussi de faire de la musique de chambre : par exemple, j’ai joué souvent avec le violoncelliste Noé Natorp, ou récemment avec le Oistrakh String Quartet.

Répertoire

Mes compositeurs de prédilection actuellement ? Schumann, Schubert, Bartók. J’apprécie bien sûr beaucoup d’autres compositeurs, comme Fauré par exemple, mais je trouve ce dernier très sinueux à jouer, ne serait-ce que pour la mémoire : c’est un des compositeurs les plus complexes qui soient pour cet aspect. Chez Schubert ou Schumann, il y a quelque chose qui dépasse la structure, la complexité, on a l’impression d’avoir un accès direct au compositeur. Je n’ai pas été beaucoup en contact avec la musique contemporaine ; mais c’est un travail particulier que je trouve intéressant : on n’a pas de recul, pas une centaine d’enregistrements de l’œuvre derrière soi, il faut trouver la part de liberté que l’on peut s’accorder, même devant une notation très précise.

Loisirs

J’écoute en fait peu de musique, je préfère aller au cinéma, je trouve que ça me nourrit beaucoup. Par exemple quand on joue du Schubert et que l’on regarde les films de Bergman, on retrouve des états communs. 
Pour ce qui est de la musique de films, je pense qu’elle a malheureusement perdu de sa fonction de mise en scène, elle donnait un sens alors que maintenant elle est devenue plus fonctionnelle.
En fait j’écoute de la pop, du jazz – j’aime beaucoup des personnalités comme Tigran Hamasyan, Yaron Herman… – et des œuvres classiques que je ne connaissais pas.

Panthéon

Comme je vous l’ai dit, j’écoute peu de musique. J’aime par-dessus tout Alfred Brendel dans Schubert, les disques de Murray Perahia, les concertos de Mozart par Mitsuko Uchida, le 24e notamment. Je n’ai pas une grande culture de l’interprétation des anciens, ni des nouveaux d’ailleurs, mais cependant je trouve les master classes de Cortot fascinantes (accessible sur Youtube).

Projets

J’espère continuer dans cet équilibre entre récital solo, musique de chambre et improvisation. J’aime donner des récitals solo, mais aussi mixtes avec de l’improvisation où le public propose des thèmes, amène des contraintes ; c’est une bonne façon de communiquer avec lui.

Pour conclure, une passion commune, le 3e concerto de Bartók qu’il donnait au concours Long-Thibaud :

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