Meeting Elena Bashkirova
Cette année se tenait la 19e édition du Jerusalem International Chamber Music Festival et nous avons eu la chance de pouvoir rencontrer son Directeur artistique depuis sa création, la pianiste Elena Bashkirova.
Le Festival
« Il y a 19 ans, Jérusalem était isolée musicalement, aucun événement spécial ne s’y tenait. Bien que je n’ai jamais dirigé de festival auparavant, – et n’en ayant jamais eu l’ambition, pensant que je n’en avais pas la capacité – l’idée me vint en écoutant le Triple concerto de Beethoven avec Itzhak Perlman, Mischa Maisky et Yefim Bronfman, en observant ces trois musiciens sur la scène…
C’était un vrai challenge: faire venir ici des artistes de renommée mondiale, sans défraiement, dans un endroit dépourvu de manager artistique ou de maison de disques. J’ai posé la question à Mischa Maisky, Yefim Bronfman et à d’autres et ils étaient enthousiastes. J’ai contacté d’autres musiciens et j’ai été sidérée par leurs réactions positives. Tout le monde voulait y participer : bien sûr Jérusalem a sa propre magie, mais ils étaient principalement intéressés à jouer avec d’autres musiciens.
La plupart des festivals, même s’ils invitent bien sûr de nombreux artistes, ont souvent un cercle permanent d’artistes amis. Ici, nous essayons de faire venir de nouveaux musiciens ; par exemple les frères Capuçon étaient inconnus lorsqu’ils sont venus ici pour la première fois. Nous essayons également de proposer des programmes pour ensembles à vents et – ce qui est un peu notre marque de fabrique, d’introduire des programmes consacrés au Lied : il y a très peu de véritables chanteurs de lieder de nos jours et très peu de récitals qui leur soient consacrés, même à Vienne ou Berlin.
Les deux premières années, nos concerts se déroulaient au Théâtre Khan Theater, une petite salle pas vraiment adaptée à la musique, mais depuis nous sommes au YMCA et en sommes pleinement satisfaits. Nous donnons des arrangements pour ensembles de chambre d’œuvres pour grandes formations, nous jouons beaucoup de musiques méconnues et il est de notre devoir de jouer de la musique moderne.
Ainsi, depuis 2004, nous commandons chaque année une nouvelle œuvre à un compositeur. Le public était un peu surpris au départ : pour eux, même Schoenberg sonnait comme de la musique compliquée. Mais avec le temps, et en répétant les pièces, ils s’approprièrent un langage qui leur était au départ complètement étranger.
Le public ici est fantastique, silencieux, sans tousseur ; de la scène, les musiciens peuvent sentir cette concentration. Il prépare en amont, cherchant des informations sur les œuvres avant d’assister au concert. Le meilleur compliment que j’ai reçu fut lorsque nous donnâmes beaucoup d’œuvres de Boulez : une vieille dame vint me voir et me dit : « C’est très important pour nous d’entendre de telles musiques, nous voulons apprendre : »
Rencontrez-vous des problèmes particuliers ? Du tout. Bien sûr je ne suis responsable que de la programmation et l’on peut rencontrer quelques problèmes de logistique somme toute banals, mais par exemple aucun musicien ne viendrait pas du fait qu’il n’est pas rémunéré. Et la salle de concert est pleine tous les soirs ! Nous invitons toujours de jeunes musiciens, sur la recommandation de professeurs ou de musiciens établis, et on les associe à des musiciens confirmés, leur laissant des temps de répétition suffisants. Ainsi, les jeunes apprennent des anciens et ces derniers sont heureux de jouer avec de nouveaux venus. Nous essayons aussi de bâtir de nouveaux ensembles : chaque année, avec cinq ou six musiciens, nous faisons dans l’année une grande tournée : Paris, Londres, Genève, Salzburg etc. sous le nom « Jerusalem Chamber Music festival ». Les concerts sont retransmis ici en direct et les deniers sont diffusés cette année, pour la seconde fois, en streaming par Arte.
Nous donnons toutes les combinaisons possibles de musique de chambre : duos, trios, quatuors, quintettes et ainsi de suite, et j’aime établir des oppositions entre des compositeurs en apparence similaires : Prokofiev / Chostakovitch, Haydn / Mozart, Brahms / Schumann, Mahler / Bruckner, etc., de façon à ce que le public puisse discerner les différences et revoir certaines idées préconçues.
J’aime beaucoup la musique contemporaine, même si je de saurais prétendre tout connaître. J’aime notamment les musiques de Windmann, Pintscher, Boulez, Carter; nous jouons également de très intéressant compositeurs israéliens : Ayal Adler, Betty Olivero, Yinam Leef cette année ;il y a une école de composition assez spécifique en Israël, plutôt dans un style post-Bartok : Ben-Haim, Sheriff, Weisenberg, Zahavi, etc. et il y a de plus en plus d’ensembles de musique contemporaine.
Le public n’est-il pas un peu âgé ? « Oui, qu’y puis-je ? Cà a été le cas depuis des années et c’est plein chaque année pourtant. J’ai l’habitude de dire : « attendez un peu, ils viendront ! »
Futur
L’année prochaine marquera la 20e édition. J’aimerais qu’elle dure un peu plus longtemps – deux semaines, réunir tous les musiciens qui ont participé et réaliser une grande rétrospective. Et puis redonner toutes les pièces que nous avons commanditées, ce qui peut présenter certaines difficultés : par exemple, le Concerto pour flûte d’Elliott Carter, qui fut créé par Emmanuel Pahud, demande un grand nombre de musiciens et était commandité conjointement avec la Philharmonie de Berlin et le Symphonique de Boston.
Projets
Allez-vous étudier de nouvelles partitions ? « Oui, du Scriabine, après les Saisons, l’Album pour enfants de Tchaikovsky, du Liszt, du Schumann, et presque chaque année, j’apprends un nouveau concerto de Mozart…