Rencontre avec Ophélie Gaillard

Une de nos meilleures violoncellistes, soliste, chambriste, directrice de l’Ensemble Pulcinella, professeure (et jeune mère de deux jumeaux) : j’étais très heureux d’être convié à réaliser une interview d’Ohélie Gaillard pendant quelques dizaines de minutes, malgré la charge de son emploi du temps. Je l’ai rejointe à la fin d’une master classe à Vincennes : bonheur d’avoir l’occasion de l’entendre jouer en petit comité.
(Son site)
Je reviendrai sur le nouveau disque Vivaldi lors de sa sortie le 20 mars ; la veille, elle donne un concert avec son ensemble Pulcinella à Saint-Louis des Invalides.

TV : Comment faite-vous pour concilier toutes ces activités ?
OG : Les femmes sont habituées à accomplir plein de tâches ! J’ai toujours été habituée à mener de front plusieurs choses, je suis sans doute hyperactive, mais je pense que c’est aussi dû à la nature de mon instrument : si j’étais pianiste, je serais peut-être moins polyvalente. J’adore jouer sur instruments historiques, mais je ne saurais m’y spécialiser car j’adore également jouer les répertoires romantiques et contemporains. Le violoncelle s’épanouit autant comme instrument de basse, d’accompagnement, que comme soliste ou en tant qu’instrument de musique de chambre ; la seule chose que je ne fais pas c’est de jouer dans un orchestre symphonique, non pas parce que je n’aimerais pas – je l’ai souvent fait quand j’étais étudiante – mais par manque de temps.

J’aime bien enseigner, cela demande du temps, de l’énergie, mais c’est aussi ressourçant, équilibrant : je ne pourrais pas faire uniquement de la scène. Le fait d’essayer de résoudre des problèmes pour d’autres (texte, posture…) permet de se poser les bonnes questions pour soi-même et d’être ainsi plus efficace. 
Ici à Vincennes, je passe quelques jours pour avoir des échanges avec des élèves potentiels, de niveaux différents : ils apprennent à me connaître et moi aussi ; c’est important car si l’un devient mon élève, on est partis ensemble pour 2, 3 voire 5 ans ! Ils ont entre 15 et 25 ans, ce sont des années de formation et c’est donc une grosse responsabilité que je ne prends pas à la légère.

La vie d’interprète est très difficile : on se pose des milliers de questions sur l’interprétation, on est tout le temps sur scène, on prend des risques en permanence et, comme disait Janos Starker, même un concert très beau et réussi, c’est très éphémère ; on ne sait pas ce qu’on laisse comme souvenir au public. Ce qui est gratifiant avec l’enseignement c’est que l’on sème et que (parfois) cela pousse !  (Ophélie Gaillard est professeur à la Haute Ecole de Musique de Genève et membre de jury de grands concours internationaux : ARD Munich, Genève…).

TV : Je suis toujours étonné des différences entre instrumentistes au niveau de la projection du son, quelque soit l’instrument d’ailleurs.
OG : Oui, le son est quelque chose de complexe. Dans l’enseignement on passe la moitié de don temps à le travailler, pas seulement au niveau du volume, mais également à celui de la qualité, des couleurs. Le son en dit long sur la personne, à notre propre insu en général. Je me souviens qu’alors que je n’étais qu’une pré-ado, Certains de mes professeurs avaient été surpris par le volume et la densité du son que je pouvais générer. J’ai actuellement un élève de grande carrure qui ne produit pas un son correspondant à son physique, mais qui traduit sans doute certains aspects de sa personnalité qu’il conviendra de faire évoluer.
Mais la pâte sonore, c’est quelque chose d’un peu inné : si on n’a pas le sens du son, comme un sculpteur peut avoir le sens de la matière qu’il travaille, je pense qu’il vaut mieux faire autre chose, surtout pour les instruments à cordes où l’on fabrique soi-même son propre son.
On intervient régulièrement dans les hôpitaux avec des membres de l’ensemble Pulcinella, soit pour les soignants, soit pour les malades dans leur chambre même ; cela passe par la sensation : quand ils touchent le bois de l’instrument, ils sont beaucoup plus sensibles à ce qui est transmis ensuite.

TV : Une de mes questions rituelles : je gagne demain au loto et vous offre les moyens de réaliser votre rêve musical ?
OG : Une seule chose !? D’abord m’assurer que je pourrai continuer à jouer sur le magnifique Goffriller, mon compagnon de route depuis 15 ans, prêté par le CIC. Sinon, faire un Dvorak avec Simon Rattle par exemple (je lui propose de ressusciter Kubelík, mais, à mon grand désarroi, elle préférerait faire un Triple de Beethoven avec Harnoncourt ou un concert avec Carlos Kleiber). 

TV : Vous avez déjà réalisé de nombreux disques, que ce soit en soliste, en musique de chambre, avec votre ancien ensemble Amarillis ou avec l’ensemble Pulcinella. Vous préférez enregistrer en studio ?
OG : J’aime enregistrer et faire des concerts, mais pas des concerts enregistrés : j’aime moins, même si je le fais tout le temps pour des captations radio ou télé. J’ai la chance d’avoir un label qui produit un bon son et qui a un excellent staff. Ce qui est terrible c’est quand on enregistre en studio et que l’on sent que derrière il n’y a pas de directeur artistique, quelqu’un qui vous pousse dans vos derniers retranchements, qui vous demande d’aller chercher une nuance, une couleur. On peut pousser très loin l’exigence dans l’interprétation quand on est en studio, c’est éreintant, c’est une espèce de mise à nue mais qui fait progresser musicalement et humainement. Au concert, on ne peut pas prendre une prise de risques maximale, surtout maintenant où tout le monde écoute des disques et où les instrumentistes cherchent une certaine perfection.

TV : Vous aviez fondé l’ensemble Amarillis avec votre sœur Héloïse, flûtiste et hauboiste ?
OG : Oui cela a duré dix ans, mais on a, ma sœur et moi, de forts caractères, même si l’on s’entend très bien et à un moment on s’est dit qu’il valait mieux avoir deux ensembles différents, dans des répertoires également différents. Mais l’ensemble a été très important dans ma formation ; on faisait beaucoup de musique de chambre, également avec notre frère violoniste, qui est devenu médecin depuis.
J’ai eu envie ensuite de me tourner vers un répertoire plus spécifique au violoncelle baroque.

TV : Vos projets de disques ?
OG : Je n’aime pas trop en parler à l’avance (j’aime bien le côté un peu laboratoire secret des enregistrements !). Je peux dire que j’aimerais faire le concerto de Dutilleux ou celui de Lutosławski, couplé avec une création. Je vais sans doute refaire un album dans l’esprit de Dreams, mon premier album pour Aparté.

TV : Y a-t-il un répertoire de bis pour le violoncelle comme pour le violon ?
OG : Compte tenu des caractéristiques de l’instrument il y en a moins que pour le violon : il a des Popper, des Kreisler que l’on peut faire au violoncelle. Janos Starker avait fait à l’époque un très bel album de bis pour le violoncelle. Mais il y a peu d’albums réussis dans ce type de répertoire : il faut souvent de la grâce, de l’élégance, il ne suffit pas d’aligner très vite des notes, beaucoup de gens peuvent le faire, mais ce n’est pas suffisant.

TV : Comment expliquez vous l’excellence actuelle de ‘l’école’ de violoncelle française ?
OG : C’est assez complexe. Il y a eu une première école très rayonnante au sortir de la Deuxième guerre mondiale (et même pendant avec Marcel Maréchal) : Gendron, Navarra, Fournier, Tortelier qui ont fait une grande carrière internationale. Il y a eu ensuite la génération des Muller, Pidoux, qui étaient les héritiers de cette première génération et qui ont énormément formé. Dans les élèves de Muller, lui-même formé par Navarra, il y a des personnalités extrêmement diverses comme Capuçon, Pernoo, Gastinel, moi-même et bien d’autres. Je rencontre des collègues lors de festival, Beauvais avec mon amie Emmanuelle Bertrand mais en général dans des festivals à l’international : Amsterdam, Pékin. Mais si j’adore le violoncelle, c’est pour moi un médium vers la musique. Je préfère fréquenter d’autres instrumentistes et spécialement les chanteurs. Des gens comme Sabine Devieilhe ou Patricia Petitbon sont pour moi des sources d’inspiration.

TV : Vous avez 45 ans, la retraite c’est pour quand ?
OG : (rires) Je continuerai jusqu’à ce que mort s’en suive ! En fait, c’est moins vrai maintenant, même si je ne peux pas vraiment imaginer ma vie sans musique : maintenant, ma vie sans mes enfants, c’est inenvisageable. J’essaye de leur donner du temps ; vous me posez la question des vacances : pour moi je n’ai pas besoin de prendre congé : j’adore ce que je fais. J’essaie de préserver du temps avec mes enfants y compris en vacances même si je n’ai pas vraiment besoin de vacances…

TV : Quelles sont vos qualités en tant que musicienne ?
OG : Je dirais pour ce qui me concerne, même si c’est difficile de parler de soit ainsi, que c’est la souplesse à tous niveaux : autant physique qu’une certaine mobilité en changeant par exemple de répertoire et de tout adapter aussitôt : le son, la couleur, les paramètres ; et puis sans doute la générosité.

TV : Est-ce que vous vivez ces moments magiques du concert où comme l’on dit « il se passe quelque chose » ?
OG : (interloquée) Mais bien sûr ! J’essaye de faire comprendre à mes élèves que dès que l’on joue, c’est comme sacré, même s’il n’y a bien sûr pas de liturgie ; il y a de nombreuses façons de sentir ces moments-là et surtout de les convoquer : ils ne viennent pas par hasard, parfois ça marche parfois non.
Le public japonais est génial par une grande qualité de respect ; mais ce qui me touche c’est le public qui aime, j’aime bien ainsi le public italien, un peu bruyant mais généreux dans l’écoute. Un public spécial, ce sont les hollandais : silence total pendant l’exécution, standing ovation de 3mn très intense et tout le monde s’en va d’un coup ! Les « catarrheux » comme vous dites, ce sont des gens qui ont perdu le sens du sacré, ils ne se rendent pas contre que l’on a besoin du public pour jouer. Parfois, quand je joue dans une chambre d’hôpital pour un gamin malade, il se passe mille fois plus de choses que dans une salle de concert : c’est du temps que je donne, mais qui m’apporte beaucoup.

TV : Pour finir, la musique contemporaine : avez-vous des affinités spécifiques ?
OG : Non, même si j’ai peu d’affinités avec le courant néo-tonal par exemple. Mais quand je suis au service d’une œuvre, c’est un engagement total, même si ça ne me plaît pas : c’est un challenge. Par exemple, pour une pièce de Yann Robin, donc dans le courant de la saturation, j’ai travaillé une œuvre avec une pianiste qui au bout d’un mois a lâché l’affaire, alors que j’ai poursuivi ; j’aime cette démarche qui oblige l’interprète à aller au bout de lui-même, presque à se faire mal. Alors que j’aime Dutilleux ou bien Edith Canat de Chizy, quelqu’un qui connait bien les cordes et aime ses interprètes.
Le dernière pièce contemporaine que j’ai fait est Intrépides d’Alexandros Markéas , une cantate sur des figures féminines, qu’on a créée il y a un mois avec Pulcinella. Elle fait l’objet actuellement d’un appel à financement participatif sur Proarti, la plateforme de la SACEM.


 

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