Rencontre avec la pianiste Jasmina Kulaglich

Après avoir apprécié ses enregistrements et l’avoir entendue récemment en concert, j’ai proposé à Jasmina Kulaglich cette rapide interview.

«Je suis d’origine serbe, née à Belgrade. Fille unique, mon père était architecte et mes grands-oncles étaient tous des artistes :
compositeurs, écrivains, peintres ; quand j’étais petite, on m’emmenait chez mon grand-oncle, célèbre compositeur
Svetomir Nastasijevic – avec qui j’ai donné mes premiers concerts. J’avais une cousine professeur de piano qui
enseignera au CNSM de Belgrade et qui m’a donné mes premiers cours de piano ; je dois dire que j’avais des facilités
dans de nombreux domaines et je suis entrée à 16 ans au Conservatoire National de Musique de Belgrade.

À la sortie, quatre ans plus tard, j’ai obtenu une bourse du gouvernement français. Me voilà à Paris où j’ai travaillé avec plusieurs professeurs, entre autres France Clidat, Monique Deschaussées et quelques cours avec Jacques Rouvier, Bruno
Pietri… mais je me suis surtout perfectionnée à l’étranger avec
des élèves directs de Claudio Arrau : à Bruxelles avec
l’immense pianiste Aquiles Delle Vigne, élève de Cziffra et
d’Arrau, et plus souvent encore avec la chilienne Edith Fischer,
qui est d’ailleurs toujours concertiste à 90 ans ! (Elle jouait
récemment quatre fois dans la semaine le concerto de
Schumann…). Alors, j’allais chez elle de Paris, via Lausanne et
Vevey, puis prenant le petit train vers Blonay ; je me suis
d’ailleurs déjà produite à son Festival de Blonay. Dans mes
études à Belgrade j’ai été très tôt sensibilisée et éduquée à la
projection du son, à l’importance des sonorités, puis avec
l’école d’Arrau à la structure des œuvres, tout en abordant la
légèreté avec France Clidat par exemple.
J’ai également suivi des master classes avec György Sebők – un
immense maître, et pas seulement de musique.

Mes premiers engagements ont eu lieu vers seize ans, après
avoir obtenu des prix dans les concours nationaux à Belgrade,
Zagreb… Et il a fallu repartir de zéro en venant à Paris. Voici
une belle aventure parisienne : mon collègue des études à
Belgrade, le violoniste serbe Zoran Jakovcic, parti vivre à New
York, passait rapidement par Paris ; on se voit une heure et
avec notre souvenir musical en commun, on décide de fonder
le Trio Botticelli avec son amie, la violoncelliste de l’Orchestre
de Paris, Claude Giron ! Un trio qui a bravé les vagues de l’Atlantique pendant sept ans. On s’est produit à Paris, à New York, mais surtout en Suisse, souvent en direct sur les ondes de la RSR.

Outre mes engagements pour des concerts en soliste ou en
concerto, qui ont lieu en général en Europe, j’aime beaucoup
jouer en musique de chambre. Celle-ci est comme un sixième
sens : on le possède ou pas. J’aime cette unité avec les
partenaires des duos, trios, quintettes….aucunement besoin de
se regarder, juste écouter, sentir ensemble et « être canal » au
service de la musique.

À mes débuts, l’essentiel de mon répertoire, c’était Beethoven et Schubert. J’ai évidemment interprété des œuvres de bien d’autres compositeurs, les romantiques, les impressionnistes,
les contemporains… mais j’ai tendance à revenir dans le cœur aux deux premiers. Cependant, mes origines slaves ont joué un rôle important dans la création de ma présence dans le milieu musical français. Le plus beau souvenir de concert parisien : les deux concertos de Liszt à la Salle Gaveau, avec l’Orchestre Romantique Européen.

Je tiens à avoir un lien affectif fort avec chaque œuvre que je
joue ; c’est pourquoi je ne réaliserai jamais d’intégrale. C’est le
cas pour mon dernier disque Dumka où le choix des pièces – et
même leur ordre – correspond pleinement à ma sensibilité. J’étais également très heureuse d’enregistrer en première mondiale pour Naxos le cycle « Mosaïque Byzantine » de Svetislav Božić, mon compatriote. L’œuvre est composée en
2001 et consacrée aux monastères orthodoxes des Balkans.
« Svetislav » et « Svetomir » (grand oncle) sont des prénoms liés au mot « sacré » en serbe – et ils sont tous les deux importants dans ma vie, tout comme cette approche dans la musique. »

Jasmina a de nombreux projets de concerts en France ou en Europe mais ne veut pas parler de projets d’enregistrements qui restent à finaliser.

« En parallèle avec mes postes de professeur titulaire au Conservatoire à Rayonnement Régional d’Aubervilliers – La Courneuve et Pôle Supérieur 93, j’ai donné de nombreuses master classes (Italie, Portugal) et des séances de formation pour des professeurs de piano sur la relation corps / expression musicale au piano (ARIAM Ile de France).

Je voudrais ajouter une réflexion importante sur l’enseignement : pour moi, en art, on ne transmet pas seulement un savoir, mais aussi et surtout « ce que l’on est », avec toute l’énergie que l’on porte en soi et avec tout son cœur. Je suis inspirée par l’aspect holistique de la transmission : inciter chacun à trouver le meilleur de soi, à devenir ou redevenir soi.
Chaque artiste est unique et c’est là sa plus grande valeur à chercher, cultiver et offrir au monde. J’ai pu ainsi accompagner des pianistes accomplis de 35 ans et plus, qui se trouvaient
dans un moment de doute ou de crise, pour les aider à trouver le chemin d’un renouvellement et un nouvel élan artistique. C’est ce que je propose aujourd’hui comme un « accompagnement des artistes » ouvert aux musiciens de tout âge. »

Une rencontre chaleureuse avec une artiste profondément dévouée à son art.

 

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