Ravel – Ma mère l’Oye – Versions orchestrales

Ravel – Ma mère l’Oye [EN]

Walter Damrosch
Walter Damrosch

On avait déjà comparé les versions en notre possession à l’époque :
Désiré-Émile Inghelbrecht – Orchestre national de France – 1955
André Cluytens – Orchestre de la société des concerts de Conservatoire – 1962
Bernard Haitink – Concertgebouw orchestra – 1973
Jean Martinon – Orchestre de Paris – 1975
Pierre Boulez – Berliner philharmoniker – 1994
Yannick Nézet Séguin (YNS) – Rotterdam philharmonic – 2009.

La version Martinon nous avait paru la plus satisfaisante. Maintenant que l’on a accès en streaming à la majeure partie des enregistrements, on remet cette œuvre sur le métier avec presque 40 versions…

Rappelons qu’il existe 2 versions orchestrales : les 5 morceaux initiaux dans l’ordre :

  • Pavane de la belle au bois dormant
  • Petit poucet
  • Laideronnette Princesse des pagodes
  • Entretiens de la belle et de la bête
  • Le jardin féerique

Ravel en tirera ensuite un ballet en ajoutant un Prélude et Danse du rouet et scène et 4 interludes, intervertissant Petit poucet et Entretiens :

  • Prélude
  • Tableau I : Danse du rouet et Scène
  • Tableau II : Pavane de la Belle au bois dormant
  • Interlude
  • Tableau III : Les Entretiens de la Belle et de la Bête
  • Interlude
  • Tableau IV : Petit Poucet
  • Interlude
  • Tableau V : Laideronnette, Impératrice des Pagodes
  • Interlude
  • Apothéose : Le Jardin féerique

Cf. ici une présentation des thèmes principaux et textes et animations.

Les enregistrements accessibles ou au moins repérés vont de 1927 à nos jours. Encore une fois on trouve (le plus souvent) la suite seule en 5 mouvements, mais aussi le ballet avec parfois les interludes différenciés, parfois intégrés au morceau suivant, parfois pas tous…

Damrosch – New York symphony – 1927
Walter Damrosch (1862-1950) était un chef d’orchestre et compositeur ayant exercé aux USA ici en vidéo.
Une Pavane lente à souhait, avec des portamenti et un son d’époque, confère beaucoup de poésie, un Petit poucet d’une lenteur que l’on ne retrouvera plus, avec force animaleries. Des pagodes en veux-tu en voilà, Ce qui est remarquable est que l’on entend distinctement les timbres. Le contrebasson en fait des tonnes ! Le Jardin est superbe de timbres, le jeu du violoniste est daté, mais tellement expressif. On se demande si Ravel eut connaissance de cet enregistrement ? On entendra plus beau, mieux fini, mais aussi caractérisé ? 9

Wolff – Concerts Lamoureux — 1930 ?
Albert Wolff (1884-1970) créera notamment la 4e de Roussel et vit son opéra L’Oiseau bleu créé au MET en 1919.
Bonheur d’entendre un hautbois de facture française dans Poucet, mais c’est assez neutre et manque d’expressivité malgré les indications de Ravel. On entend très peu de timbres, c’est assez nonchalant et pas très bien joué. 6

Erich Kleiber – NBC – 1947 – Live
Un des grands chef du XXe siècle (1890-1956). C’est un peu lâche, des respirations curieuses aux vents. La battue ne semble pas très concernée. Laideronnette est bien animée, mais cela reste un peu précaire comme la suite. 6,5

Serge Koussevitzky – Boston – 1947
Une Pavane sensible, Superbes cordes dans le Poucet, belle prise de son pour l’époque, caractérisation des timbres, superbes ambiances poétiques dans Laideronnette, les Entretiens sont bien dans un « mouvement de valse modéré », superbes sonorités. Le Jardin fait grand orchestre (quelles cordes !), seule la fin est un peu brouillonne. 8,5

Ansermet – Suisse romande – 1951 (ballet)
Cà commence très mal (c’est le ballet entier mais on est passé directement à la Pavane). C’est bruyant, voire strident, assez prosaïque. La prise de son est assez mauvaise, tantôt ouatée, tantôt agressive et c’est assez extérieur. 6

Inghelbrecht – Théâtre des Champs Elysées – 1954
Encore un ballet  sans les interludes. Pavane : prise de son colorée dans les aigus, Poucet manque de respiration. Laideronnette, vivante, caractérisée, mais un peu pesante, manque aussi de respiration, c’est un peu heurté. Les Entretiens manquent aussi de style. Le Jardin est plus dramatique que féerique. 7

Ansermet – Suisse romande – 1958
Remis sur le métier pour la stéréo. C’est beaucoup moins amateur que 7 ans plus tôt. Prise de son proche, comme souvent chez Decca à Genève à l’époque, on se croirait dans le studio ; belle Laideronnette. Dès les 1ères mesures du Jardin on sait en général si ça fonctionnera ou pas, un peu comme pour un adagio de Mahler… Le tempo est bien, un peu plus de tension, c’eût été parfait. 8

Vladimir Golschmann – Orchestre des Concerts Lamoureux – 1958
Golschmann était un chef français (1893-1972) qui officia principalement à Saint-Louis.
L’orchestre est plus à son avantage que du temps de Wolff. La Pavane manque de féerie, Le Poucet est un peu morne. et le reste est à l’avenant, sans fantaisie ni atmosphère. 6

Munch – Boston – 1959
Dès les 2 premières mesures, on sent qu’il y a un chef cette fois. Quels instrumentistes (cor anglais notamment) ! L’orchestre paraît un peu fourni. Poucet est assez angoissant. Laideronnette met bien en évidence le célesta, mais pourrait être encore plus « chinoâ ». Des Entretiens superbes de musicalité, on sent l’empathie du chef avec cette musique ; c’est même poignant, fin très surprenante. Jardin peut être un peu franckiste, mais très efficace et sonnant, la fin sature. 8,5

Cluytens -Orchestre de la Société des concerts du Conservatoire – 1962
C’est toujours élégant, toujours un peu en deçà de ce que l’on espère. Une Pavane très mesurée, des Entretiens bien conduits mais c’est encore un peu plat, malgré un contrebasson presqu’aussi baveux que chez Damrosch… Tout est bien, mais il manque un je ne sais quoi de liberté ou de respiration voire de fantaisie pour accrocher vraiment… Quand au Jardin, ici encore, dès le début, on sait que çà ne fonctionnera pas vraiment… 7

Monteux – London symphony – 1964 (ballet)
Une Pavane très lente, distanciée, comme un rêve. Un naturel très sophistiqué : Poucet pourrait être plus caractérisé, mais c’est fait avec un telle économie d’effets. Cette économie distille un parfum captivant dans les Entretiens. Il est probable qu’un chef ne dirige pas de la même façon les 5 morceaux de la suite lorsqu’il dirige le ballet entier. Laideronnette est tout aussi bien menée, dans un tempo retenu – le chef n’allait pas tarder à mourir à l’âge de 89 ans. Un Jardin « suspendu », en tous cas une leçon de technique de direction. 8

Martinon – Chicago – 1968
Grand ami de Kubelík, il fit comme lui un passage discuté à la tête du Chicago symphony, malgré, pour lui aussi, quelques enregistrements renommés.
Pris de son distante, un peu terne, ça fait penser à Cluytens : rien d’indigne, au contraire, mais on n’est pas vraiment concerné. Laideronnette est plus allante au départ, mais le tempo s’alanguit. Et le Pavane est bien mièvre. Le début du Jardin annonce que ça ne sera pas très bien. 7

Boulez – New York Philharmonic – 1974 (ballet)
Superbe orchestre, sonorités « ravéliennes ». Entretiens : équilibre sonore très travaillé ; bien sûr pas de pittoresque ici, et c’est un peu clair et léger, un peu le petit doigt sur la couture du pantalon… il ne croît pas au beau prince charmant ? Malgré la qualité technique du chef et l’excellence de l’orchestre, le tout manque de liant ou de nécessité. Laideronnette rutile plus qu’elle ne séduit. Le Jardin fait plutôt Adagio de Barber (!). 7,5

Ozawa – Boston – 1975 (ballet)
Avant qu’il ne remporte haut la main ma discographie du Sacre, je n’avais jamais eu de disposition pour ce chef et certainement pas pour cette anthologie Ravel pour DG.
La Pavane est bien mièvre, et malgré tous ses efforts pour timbrer (Laideronnette), rien ne fonctionne vraiment. 6,5

Martinon – Orchestre de Paris – 1975 (ballet)
7 ans plus tard seulement ; du timbre, de l’air, la Pavane est emmenée d’une coulée, Entretiens : là encore l’évidence, un charme, un superbe orchestre (yc le violon solo), une très belle prise de son. Le reste idem : je confirme que c’est mon enregistrement préféré jusqu’ici. 9

Herbig – Berliner symphony – 1979
Günther Herbig (1931*) donne une très belle Pavane et.. de très beaux Entretiens ! Les timbres de l’orchestre ne sont pas exceptionnels, comme pour Laideronnette, mais c’est si bien mené. Une belle surprise. 8

Giulini – Radio bavaroise – 1979
Pavane lente, prise de son un peu distante, Poucet bien lent aussi ; bref le tout est d’un élégance assez empesée. 7

Dutoit – Montréal – 1984 (ballet)
Un rythme tenu, des phrasés décidés, un bel orchestre bien capté, des ambiances, de la clarté, un peu plus de caractérisation, un Jardin un peu plus féerique, et c’eut été parfait. 8,5

Abbado – London symphony – 1986 (ballet)
Très bel orchestre, lecture raffinée, mais un peu émaciée avec des tempi parfois très contrastés mais qui ne semblent pas bien fonctionner, superbe solo de violon du prince. Un Poucet trop symphonique, une Laideronnette bien lente, une déception. 7

Plasson – Capitole de Toulouse – 1986
Beaucoup d’ambiances, c’est délicatement mené, les oiseaux du Poucet passent comme dans un rêve. Laideronnette superbe, Entretiens dans un tempo idéal et un Jardin merveilleusement poétique… 8,5

Jordan – Suisse romande – 1986
La Pavane passe tranquillement, Poucet nous emmène sur son chemin. C’est plus chambriste qu’avec Plasson, Martinon ou Dutoit et l’on est plus pris. On ne connaît pas une telle sensibilité musicale à part Kubelík… et même si le solo de violon du Jardin est loin d’être transcendant, on est transporté de bout en bout. 9

Jean – Czecho-Slovak Radio Symphony Orchestra – 2006
Il s’agit de Kenneth Jean, chef d’orchestre né en 1952.
Et c’est superbe ! Notamment la respiration musicale, menée avec goût. Et il ne rate pas le Jardin. Ce n’est pas le meilleur orchestre, mais c’est une découverte. 8,5

Edwards – London Philharmonic – 1990
Enfin une femme pour la première fois dans toutes nos discographies comparées ! Pavane ok même si le tapis de cordes est un peu convenu. Un Poucet bien animé et poétique (cor anglais). De belles choses dans Laideronnette mais c’est un peu lent. Encore une fois dès les premières mesures du Jardin on sait que l’on sera côté Barber… Une belle version traditionnelle. 7,5

Giulini – Concertgebouw – 1991
La Pavane est bien lente (mais 2″ de moins que Damrosch…). Que d’élégance, de fini, même si certains vents vibrent un peu trop. Laideronnette manque un peu de fantaisie et s’enlise à la fin, on a même shunté ! Les entretiens sont encore dans une optique trop symphonique, mais l’on sent bien le soin et l’amour du chef pour la sonorité. Violon solo impérial, dernières mesures magiques. Un Jardin décidé, superbe. Une version magnifique mais un peu sophistiquée. 8

Kitayenko – Bergen – 1991
Davis, Kubelik & Kitayenko

Belle PavanePoucet bien conduite, Laideronnette assez animée mais un peu lente, Entretiens très bien menés également, timbres fruités, solo de violon épatant. Jardin est un peu lent, une belle version. 8 (et un beau disque d’initiation à la musique classique).

Rattle – Birmingham – 1991 (ballet)
Une Pavane qui se pavane bien lentement. Des Entretiens sans grande surprise, un Poucet plein d’atmosphère, Laideronnette très bien conduite, de l’ambiance, des timbres. Montage discernable. Jardin tendance Mahler, tempo étiré, mais cela fonctionne superbement. Encore une très belle version. 8,5

Boulez – Berlin – 1994 (ballet)
Orchestre époustouflant. Ça fait curieusement très Tombeau de Couperin : on avance, on gère le tout et tout fonctionne ! Laideronnette, malgré un montage audible est si je peux me permettre impériale, célesta audible pour une fois compris. Jardin, malgré un tempo tenu semble relancé en permanence. Comme pour tous les enregistrements réussis de Boulez, presque chaque mesure mériterait un commentaire… 9,5

Marriner – Academy St Martin – 1995
On n’a pas pu tout écouter.

Haitink – Boston – 1998 (ballet)
Très beaux phrasés des bois, Laideronnette superbe mais un rien placide, comme le reste. Un Jardin très lent. Une version qui ne passionne guère. 7,5

Previn – London symphony – 1999 (ballet)
Pavane délicate. Laideronnette un peu sollicitée, la suite de même : malgré un certaine volonté d’animation, on ne se sent pas vraiment concerné. Belle prise de son. 7

Rattle – Berlin – 2009 (ballet)
Apparemment 10 ans sans enregistrement… On est 19 ans après son premier enregistrement à Birmingham, 16 après celui de Boulez à Berlin. Pavane superbement ciselée, Entretiens plus valsant qu’à l’accoutumée. Poucet un peu sollicité, Laideronnette un peu trop sophistiquée, mais encore une fois quel orchestre… 8,5

Nézet-Séguin – Rotterdam – 2009
C’est assez joli, mais paraît un peu survolé. 7

Salonen – Los Angeles – 2009 (ballet)
Une Pavane bien lente, Entretiens manque de relief, Poucet : remarquable ensemble bois / cordes, on s’ennuie dans Laideronnette, le plus lent Jardin de la discographie, pas le plus beau violon solo (pas le plus bel orchestre non plus d’ailleurs), la fin ne fonctionne pas vraiment à cause du tempo. Décevant. 7

Albrecht – Strasbourg – 2010 (ballet)
Il s’agit de Marc Albrecht (et non de Gerd Albrecht, décédé cette année, décidément fatale pour les chefs), qui est un chef allemand né en 1964.
Des équilibres orchestraux parfois curieux, on s’ennuie ferme dans les Entretiens malgré une certaine volonté narrative. Idem ensuite. 6,5

Chung – Seoul – 2011
Pavane genre papier glacé. Poucet marche sur la pointe des pieds, c’est très ennuyeux. Les Pagodes coréennes doivent être en porcelaine fragile. Entretiens bien mous, Sans intérêt. 6

Immersel – Anima Eterna – 2013
Voilà les « antiquaires »… Une Pavane plus fruitée qu’à l’ordinaire et plus « pavane » aussi ! Dommage que les cordes jouent un peu faux. Poucet court la poste, c’est pourtant marqué « très modéré » ! Ici les instruments pratiqués n’apportent pas grand’chose. Juste une légèreté appréciable aux cordes. Laideronnette : pas sûr que le gong vienne de la cour impériale du Japon… Beaucoup de présence (orchestre réduit gonflé par la prise de son). Entretiens : pas très valse, mais très belle ambiance. Oreille absolue déconseillée pour le solo de violon. Jardin très chantant, mais ce violon… et l’apothéose est un rien brinquebalante. Rien de révolutionnaire donc, mais une version attachante. 8

(13/5/2017)

Axelrod – Orchestre National des Pays de la Loire – 2016
(Ballet entier) De l’ambiance, des timbres, un discours ! Pas d’épate (la prise de son assez globale ne le permet pas…), on écoute du début à la fin, pas subjugué mais conquis. 8

Denève – Radio-Sinfonieorchester Stuttgart des SWR – 2017
Pas de défaut, beau travail du chef et de l’orchestre, mais c’est assez lisse (Poucet) et manque de caractérisation. 7

C’est fini ! Les plus belles versions pour moi : Boulez / Berlin, Martinon / Paris, A. Jordan et l’étonnant W. Damrosch, suivies par une bonne dizaine d’excellentes versions.


Nouveautés avril 2018

Roth – Les Siècles – 2018
Complet  – Un bruit grave me parvient du voisinage à l’écoute du Prélude et un peu de grosse caisse n’aurait effectivement peut-être pas nui ! Orchestre avec « instruments anciens », de belles interventions des bois, de belles couleurs, mais tout paraît un petit peu corseté. 7,5

Ravel - Ma mère l'Oye

Ravel – Ma mère l'Oye

4 réflexions sur « Ravel – Ma mère l’Oye – Versions orchestrales »

  1. Je en sais pas comment il est possible d’aimer Rattle/Berlin dans cette oeuvre… C’est assez gris, je trouve, un peu opaque de surcroît. Je crois que je préfère Ozawa, tant qu’à faire. Mais le palmarès proposé me semble tout-à-fait justifié -même sui la prise de son de Martinon gagnerait à être plus aérée, non ?-.

    1. Ne suis pourtant pas un fan de Rattle… prochain post : Beethoven / Oistrakh chez Pragadigitals, dans l’espoir qu’un projet Kubelik se fasse…

  2. Bonjour Thierry , merci de vos intenses travaux d’écoutes comparatives. N’auriez-vous pas omis (sans doute faute d’en disposer tant elle est confidentielle) la si belle version de Manuel Rosenthal à la tête de l’orchestre de l’opéra de Paris ?

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