Ravel concertos : Vincent Larderet vs Yuja Wang
Si j’ai mis entre les 2 pochettes de disque l’ouvrage d’Etienne Barilier, c’est que ce livre Piano chinois est un roman sur la bataille de deux critiques musicaux autour des mérites ou non d’une jeune pianiste chinoise, en l’occurrence cette même Yuja.
Récemment, tel pianiste français me disait se plaindre que près de la moitié des concerts étaient squattés par les 3 pianistes chinois Lang Lang, Yuja Wang et Yundi Li, tel autre me disait que Yuja Wang n’était qu’un pur produit marketing. Alors l’occasion était belle d’illustrer les propos du livre de Barilier avec ces 2 nouvelles éditions.
Le CD Deutsche Grammophon affiche « Yuja », quand celui d’Ars Produktion met le nom de Ravel en avant. Le livret DG fait la part belle aux interprètes (Yuja : « Cette musique a la précision d’une horloge suisse, et surtout procure un plaisir pur et simple comme le chocolat »), quand celui d’Ars comporte un bon article de Michel Fleury.
Ajoutons que le CD Ars Produktion est en fait, comme il se devrait communément, un Super Audio CD, hybrid multichannel 5.1, Direct Stream Digital. Il doit être écouté sur une platine SACD pour en apprécier les qualités, notamment sa grande échelle dynamique.
Concerto pour la main gauche – Vincent Larderet
Le piano sonne un peu éloigné, impression curieusement accentuée pour le registre aigu, mais on s’y fait rapidement tant la sonorité du pianiste est ample et timbrée ; on aurait aimé par moment un peu plus de clarté au niveau de l’orchestre, mais Ravel a voulu pour une fois une orchestration un peu épaisse ; ceci dit, écoutez le début de l’œuvre où la clarté obtenue ici lui confère toute son efficacité. Les mélomanes habitués à leur Samson ou leur Vlado dans la main gauche seront surpris : le discours est à la fois plus posé et dramatique, tout est plus calculé au millimètre : enchaînements, dynamiques. Le début est plus jazzy, les rythmes se déploient avec un grand naturel, on entend nombre de détails passés souvent sous silence, il y a de superbes passages poétiques (n° 9 par exemple). Et ce n’est qu’à la fin que l’on se rappelle qu’il n’y avait que la main gauche !
Yuja Wang
Ça commence bien mal avec une ‘cadence’ décousue, pas homogène de timbres, l’orchestre ensuite n’est pas assez animé. On a l’impression que la pianiste hésite entre Fauré et Rachmaninov, avec un pianisme bien monochrome. On a parfois de belles choses à l’orchestre (n° 25 très Enfants et sortilèges), mais on est bien moins concerné qu’avec la version précédente. Prise de son quelconque avec le piano en avant. La toute fin est tellurique avec Daniel Kawka et son OSE, ici elle est ‘simplement’ virtuose.
Un coup d’oreille au Concerto en sol : beaucoup d’élégance à l’orchestre, mais la pianiste est toujours indigente de son, de phrasés, avec tout de même un 3e mouvement très vivant.
Avant d’entreprendre cette bien rapide confrontation, j’imaginais que j’allais conclure en souhaitant une version Larderet / Zurich / Bringuier… En fait non, ce SACD est d’une tenue musicale bien suffisante !
Bref, faut-il souhaiter dans le futur des produits dérivés estampillés « Vincent Larderet« , le voir jouer quelques arpèges au Champ de Mars lors d’hypothétiques jeux olympiques parisiens ? Qu’il nous distille quelques moments musicaux de cette qualité suffit bien à notre bonheur…
Ce papier m'a valu quelques critiques. Si j'ai été déçu par le CD DG, je n'ai rien contre Mrs Wang ou les 2 autres pianistes cités, tous d'ailleurs bien différents, mais je me moquais gentiment du marketing dont ils peuvent faire l'objet. Et pas de 'racisme musical' de ma part, cf. par exemple un papier un peu ancien sur le plus grand pianiste japonais en exercice, malheureusement inconnu dans nos contrées : Yukio Yokoyama.
C’est intéressant comme tout cela est finalement essentiellement subjectif, malgré les arguments avancés et évidemment fondés en fonction d’une éducation et d’habitudes d’écoute : le magazine Gramophone de ce mois aboutit à la conclusion exactement inverse, y compris en termes de prise de son d’ailleurs : le Cd de Yuja Wang est « à la hauteur » des tout meilleurs enregistrements disponibles, celui de Larderet n’est guère apprécié au-delà de l’anecdotique…
oui j’ai vu ça, les appréciations anglaises et françaises diffèrent bien souvent !
Le critique de Diapason a d’ailleurs la même analyse que le mienne – au moins la longue phrase du 2e mouvement du concerto en sol est indéfendable.
Mon ami l’écrivain Etienne Barilier, auteur donc de « piano chinois », est en fait un fan de Yuja Wang et a été outré par ma critique !
Je me promets donc de faire un papier sur la pianiste – qui a l’air d’ailleurs fort sympathique, mais je ne connais d’elle pour l’instant que ce Ravel et un disque Rachmaninov avec Abbado, disque pour moi calamiteux…