J’assistai l’autre soir au concert des lauréats de la 13e édition du Concours International de piano d’Orléans – un rapide échange avec Isabella Vasilotta, sa Directrice artistique et l’on a décidé de se voir à déjeuner pour cette interview (qui intervient peu après celle d’Aline Piboule, lauréate de ce concours en 2014 : semaine chanceuse !).
Parcours
Je suis en France depuis cinq ans, je suis venu notamment pour des raisons personnelles et quand je suis arrivée, je ne parlais pas vraiment le français. J’avais étudié la composition, la musicologie et le management culturel à l’Académie de la Scala de Milan et à 23 ans j’étais responsable d’un festival de musique contemporaine à la Scala – Milano Musica et j’avais créé moi-même un ensemble de musique contemporaine. Arrivée en France, j’ai terminé mes études de musicologie à la Sorbonne et j’ai travaillé pour Sequenza, une agence de communication où j’ai appris le métier d’attachée de presse et cela m’a surtout permis de connaître le milieu de la musique classique en France que je ne connaissais pas, tout en apprenant le français ! J’ai ensuite travaillé pour France-Musique (attachée de production, chroniques…), pour des festivals ou pour concertclassic.com : j’ai réalisé nombre de reportages vidéo, d’interviews, de micros-trottoirs ; j’avais aussi commencé un doctorat sur les musiciens italiens en France des années 80 à aujourd’hui. C’est alors que j’ai rencontré François Thinat, fondatrice et directrice du Concours d’Orléans, à l’époque de la création du Concours « brins d’herbe » pour les juniors et l’on s’est de suite beaucoup apprécié. Elle m’a appris qu’elle cherchait quelqu’un pour prendre la suite des opérations du Concours. Il y a eu un appel d’offres, on était environ 33 candidats, puis 6 ont été sélectionnés pour réaliser un projet et j’ai été choisie.
Depuis, je m’occupe presque exclusivement du concours, car c’est un énorme travail, mêlant direction artistique et exécutive. Ces deux dernières années, Françoise Thinat m’a beaucoup aidé et j’ai pu également apporter quelques idées personnelles. Il faut s’occuper de beaucoup de choses ; ainsi, pour avoir des candidats je dois rencontrer bientôt tel doyen d’une école de piano à Moscou pour qu’il puisse en parler à ses élèves, ses collègues. Si on a eu encore cette année des lauréats de qualité, c’est mon métier de rencontrer des personnalités du piano contemporain qui puisse devenir en quelques sorte des ambassadeurs du concours. J’ai déjà choisi le jury et la pièce pour 2020 [le Concours a lieu tous les deux ans] mais il faut aussi organiser les tournées internationales des lauréats – de nouvelles possibilités se sont faites jour récemment aux États-Unis ou en Allemagne.
On vient d’entrer dans le réseau des « Prize winners » de Steinway & Sons ; c’est une grande chance d’avoir été sélectionné, car il y a une multitude de concours de piano dans le monde. Ils sélectionnent dans le concours de piano retenus des pianistes qui deviennent en quelque sorte ambassadeurs de Steinway & Sons.
Nous avons donc des activités internationales mais aussi locales, compte-tenu de toutes les activités organisées autour du concours dans la région : concerts, Matinées du piano, des conférences sur la musique contemporaine avec le musicologue François-Xavier Szymczak etc. Nous avons aussi des projets avec le FRAC Centre-Val-de-Loire, comme la pièce Au cœur de l’oblique, Hommage à Claude Parent d’Hector Parra – on cherche ainsi à développer des transversalités pour s’adresser à de nouveaux publics.
Organisation
Je ne suis bien sûr pas seul pour m’en occuper ; j’ai une merveilleuse association derrière moi qui gère nombre d’aspects pratiques ainsi que les familles d’accueil : nous avons une quarantaine de familles d’accueil à Orléans qui accueillent pendant dix jours – avec beaucoup de chaleur humaine – les candidats. Ces familles disposent bien sûr d’un piano. De vraies relations se nouent avec les candidats : j’ai déjà vu des familles emmener un candidat qui ne passait pas le tour suivant visiter les châteaux de la Loire ; ils deviennent en quelque sorte la famille française des candidats. J’ai une assistante, une administratrice, des free-lances pour la communication par exemple, la recherche de mécénats et bien sûr le président du Concours, Eric Denut qui m’aide beaucoup pour faire rayonner ce concours qui est tout de même unique au monde.
Là, je reviens de Glasgow ou j’étais à la Fédération internationale des concours de musique, à l’assemblée générale annuelle et j’y rends compte combien la place de notre concours est unique. Il y a d’autres concours qui proposent de la musique contemporaine ; ainsi, nous sommes prestataires pour le concours Busoni en leur fournissant des sélections de pièces contemporaines pour piano. Se constituer un réseau international est important, j’échange beaucoup par exemple avec Rob Hilberink, le directeur du Concours Franz Liszt d’Utrecht. C’est un monde où l’on se sent un peu seule, car on n’est pas producteur de festival, tout en l’étant ! On a aussi des relations avec la link-Argerich Foundation.
Je m’occupe en ce moment du Concours « Brins d’herbe » qui aura lieu l’an prochain en avril. C’est important d’avoir tous ces jeunes pianistes qui abordent déjà le piano contemporain et de voir qu’ils ont des professeurs qui les y incitent (nous avons un réseau de professeurs dans le monde entier).
Suivant les années nous recevons entre 45 et 55 candidatures et nous en retenons quarante. Cette année une cinquantaine, peut-être parce que la pièce obligée d’Hector Parra était très complexe. Cette première sélection se fait sur dossier et surtout sur la qualité des programmes proposés par les candidats. Maroussia Gentet en est un bon exemple, outre sa technique, elle est très curieuse, est capable de monter des programmes très bien construits, ressent une nécessité de joint un certain répertoire ; c’est ce type de profil que l’on recherche, des artistes capables de transmettre des pièces contemporaines, non seulement au public spécialisé mais aussi et surtout au grand public. Après les désistements inévitables (pianiste qui finalement ne s’estime pas prêt, santé, autres engagements…) nous avons eu 33 participants, puis 15, 7 et les 3 finalistes qui jouent avec ensemble et donnent un récital final aux Bouffes du Nord.
Au niveau des répertoires, le Concours n’est pas enfermé dans un esthétique, mais ouvert à toutes, on a ainsi commandé des pièces à des compositeurs aussi divers P. Hurel, P. Hersant, H. Parra, etc. Mais j’insiste sur le fait que ce n’est pas un concours uniquement de piano contemporain, mais dédié aux compositions des XXe et XXIe siècle.
Le jury est composé de trois ou quatre pianistes, d’un grand journaliste ou critique, d’un chef d’orchestre spécialisé dans la musique contemporaine et d’un compositeur ; nous avons d’ailleurs un concours de composition également. Le jury est rémunéré bien sûr : ils passent 10 jours à Orléans à écouter tant de partitions différentes : de par exemple Boulez, Ligeti, Hurel, Campo à Debussy ou Ravel !