Embarquement pour l’Isle joyeuse
Je me suis souvent demandé pourquoi j’avais cette fascination un peu enfouie vis-à-vis de l’Isle joyeuse de Debussy. Cette pièce m’avait toujours paru spéciale dans son œuvre pour piano : originale, longue (6′, n’exagérons rien) et pour une fois plutôt extravertie. J’ai redécouvert l’enregistrement remastérisé de Samson François : certains – des pisse-froid sans soute – n’aiment pas ce pianiste qui voulait toujours nous raconter une histoire au travers de ses interprétations.
(Quand est-ce que l’on aura libre accès à ses interventions à la Tribune des critiques de disques comme pour les fameuses interventions de Peter Ustinov : les mélomanes français payent leur impôts notamment pour ça, non ? cf. )
Il me semble qu’on est là à l’acmé de l’interprétation. Un grand pianiste – je n’en suis pas – un grand fumeur – j’en suis – un grand buveur – j’en suis – un grand b… je n’en suis malheureusement plus d’où sans doute le temps que je passe à écrire cet article… C’est d’un chic pianistique, d’une évidence, d’une présence ! ça fait au moins 20 fois que je me le passe en boucle et j’en pleure quasiment de joie à chaque fois…
Tout cela pour dire que la fin cette pièce notée ff « un peu cédé, en dehors » … tu parles … me semble l’expression d’un coït bien réussi !
J’étais parti pour parler de la structure de l’œuvre, pour décrire le tableau de Watteau (le couple qui papote, puis celui où le monsieur aide la dame à se relever, puis celui où, se dirigeant vers le bateau, le monsieur enlace la dame), et à commenter les dizaines autres versions que j’ai écouté de Gieseking à Pollini : une Lefébure qui n’aurait jamais dû le faire à cet âge, une Tagliafero qui le fit façon Vines, un Horowitz qui confondait Debussy et Rachma, un Richter que j’ai abandonné, comme d’habitude, au bout de 20 secondes, etc.), j’aurais pu gloser sur le mode utilisé, sur l’aspect « gamelan » de la pièce, mais Samson a tout vampirisé.
Et je m’en repaye un coup dans presque tous les sens du terme…
Mais alors, à part Samson François, pas de salut ? et bien si : j’ai énormément apprécié l’intelligence de Juliana Steinbach : le tempo est lent, les trilles du début pourraient être plus liquides, mon passage préféré manque d’assises dans le grave, mais c’est une version que l’on se repasse bien volontiers, tellement encore une fois c’est intelligent et fait preuve d’une superbe sensibilité…