Claire Gibault – Le Paris Mozart orchestra et les mélologues
Claire Gibault n'est plus à présenter (cf. sa biographie sur Wikipedia). Plutôt que d'aborder son parcours ou par exemple la place des femmes dans le classique, nous avons préféré aborder son actualité toujours très fournie, notamment avec son Paris Mozart orchestra.
Le Paris Mozart Orchestra
Claire Gibault avait collaboré pendant près de 3 ans avec Claudio Abbado auprès de l’Orchestre Mozart de Bologne, préparant les répétitions ou le remplaçant à sa tête. C’est tout naturellement qu’il lui donna sa bénédiction pour qu’elle créée son propre orchestre de chambre sous la dénomination de « Paris Mozart Orchestra » (site) (« Mozart » faisant référence au type de formation de l’orchestre). « Vous savez que ‘orchestra’ est un nom féminin en italien ? ». L’orchestre de Bologne avait un répertoire allant du baroque (Giuliano Carmignola était violon solo) jusqu’au contemporain. « Je ne fais pas de répertoire baroque : il existe de nombreux ensembles spécialisés à Paris et je ne me sens pas tout à fait compétente, même si j’ai été initiée au baroque par John Eliot Gardiner, mais je suis sans doute trop perfectionniste. Ayant été également assistante de Theodor Guschlbauer, j’ai dirigé tous les opéras de Mozart (sauf Don Juan, mais 185 fois la Flûte !) et avec nos 45 musiciens, notre répertoire va jusqu’au pré-romantiques et au-delà.
Les Mélologues
« Nous faisons des créations de « mélologues » (de l’italien melologo : en grec, la musique – melos, chant et la langue – logos, discours. Ce genre fit florès vers la fin du XVIIIe siècle (Pygmalion de Rousseau en 1770, puis Lelio de Berlioz, pour tomber dans l’oubli avant de réapparaître (L’Histoire du soldat, Jeanne au bûcher) et de renaître véritablement ces dernières années, notamment en Italie en réaction à la fois contre le bel canto ainsi que vis-à-vis du chant contemporain, qui interdit souvent une compréhension du texte chanté.
Avec le mélologue, on peut donner quelques clés d’écoute et aider à saisir les correspondances entre musique et texte, par exemple Soudain dans la forêt profonde, texte d’Amos Oz et musique de Fabio Vacchi. Ainsi, le public comprend très bien comment la musique contemporaine peut créer des atmosphères, des ambiances particulières.
Nous abordons la sixième saison de l’orchestre avec chaque année la création d’un mélologue et depuis trois ans l’intégration des arts visuels dans nos concerts. C’était d’ailleurs sur la proposition de Graciane Finzi qui me disait « cela fait vingt ans que je veux écrire sur les tableaux d’Edward Hopper » ; elle a trouvé un livre de Claude Esteban « Soleil dans une pièce vide » qui a imaginé ce qui se passe dans la tête des personnages. Nos projets pédagogiques doivent être accessible aux lycéens mais aussi à tous publics, qu’ils soient très cultivés ou non. Natalie Dessay a développé le concept et trouvé des airs de comédies musicales ou de jazz pour accompagner d’autres tableaux ; le spectacle s’intitule « Pictures of America » et fait l’objet d’un CD qui va sortir en décembre chez Sony. De plus, un éclairagiste mettra en scène les musiciens et les tableaux de Hopper. Nous avons été pionniers dans ce genre de spectacle « hybride » et cela semble intéresser maintenant un certain nombre d’institutions !
Le premier mélologue que l’on ait donné était de Jean Français « Les Inestimables Chroniques du bon géant Gargantua « , des œuvres donc de Fabio Vacchi, L’Orfeo de Sylvia Colasanti et prochainement une œuvre d’Edith Canat de Chizy « Peindre l’inaccessible » sur des tableaux et des textes de Nicolas de Staël.
Projets
2017 verra la création d’un spectacle autour de Pygmalion. Anton (ou Antonín) Benda, compositeur tchèque (1722-1795) avait créé des mélodrames, dont un Pygmalion. Mozart avait été enthousiasmé par la clarté du texte récité. Commande a été passée à Philippe Hersant : ‘Pygmalion, la ballade de Goethe », avec des illustrations de la dessinatrice Sandrine Revel (qui a publié « Glenn Gloud, une vie à contretemps« ).
Pédagogie
Ce genre de projet est très riche : il permet dans les lycées de faire travailler ensemble des professeurs de musique, de dessin, de littérature, ce qui n’est pas si fréquent. Nous avons d’autres actions, par exemple dans des lieux éloignés et/ou défavorisés relevant de l’Académie de Versailles ; en ce moment, nous menons un projet sur Nicolas de Staël et René Char, avec un concours de poésie entre établissements. Cela permet aux élèves de connaître textes, musique, tableaux et beaucoup d’enfants issus de l’immigration découvrent ainsi leur propre talent.
Viabilité
Notre projet de rentre pas vraiment « dans les cases » au niveau des institutions. Nous avons recours au mécénat, c’est un mécénat non seulement ardent, mais qui nous encourage à faire plus ! Les fondations d’entreprises ou familiales qui nous soutiennent sont en quelque sorte une famille pour nous ; beaucoup sont des mécénats croisés : à la fois artistiques et sociologiques. Récemment nous avons fait partie des 15 projets retenus par LFSE sur 800 candidats auprès de la Fondation Total et du ministère de la Ville, ce qui nous donne une visibilité à trois ans.
Les musiciens de l’orchestre doivent signer une charte pour être engagés, ils sont employés en CDD avec une égalité de salaires. Ils sont cooptés. L’avantage de cette formule est que l’on peut facilement écarter ceux qui n’adhèrent pas au projet ou qui n’ont pas ou plus le niveau musical requis… La politique artistique est décidée collégialement, comme le recrutement de solistes. On a ainsi la chance de travailler dans une ambiance chaleureuse, avec l’implication de tous : si l’on donne par exemple un programme à Fresnes, ils sont tous présents ! de même pour voyager en 2e classe ou séjourner dans des hôtels Ibis, ou bien pour rester une demi-heure de plus que prévu pour finaliser un programme.
L’orchestre donne annuellement environ 18 programmes pédagogiques ou sociologiques et 15 concerts dans des lieux divers (Cité de la musique, Le Mans, Metz…), avec des tournées prévues en Italie et en Asie.
Je prérare progressivement ma succession et donne pour ce faire des masterclasses de direction d’orchestre. »
Claire Gibault insiste sur le niveau de qualité des prestations : « je préfère travailler avec assez peu de musiciens, mais très talentueux, plutôt qu’avec un grand nombre de musiciens, même si j’ai dirigé encore récemment des symphonies de Mahler ».
« Et je pense que le renouveau artistique peut venir de petites entreprises comme la nôtre, cela finit par rejaillir sur les institutions ».
Le spectacle « Pictures of America » sera donné notamment le 19 décembre prochain au Châtelet et à Biarritz le 5 février.