Archives de catégorie : Découvrir la musique contemporaine

Sélection de disques / médias pour découvrir la musique contemporaine

Arnold Schoenberg – Moïse & Aaron – Moses and Aron

Arnold Schoenberg – Moïse & Aaron – Moses und Aron

Schoenberg - Moses und Aron - Boulez
Schoenberg – Moïse & Aaron – Boulez
On continue notre panorama de l’oeuvre de Schoenberg avec cette fois-ci son seul opéra, inachevé, composé entre 1930 et 1932 en réaction à l’antisémitisme croissant en Allemagne. Il ne sera créé en version de concert qu’en 1954 à Hambourg sous la direction de Hans Rosbaud. We pursue our panorama of the work of Schoenberg with this time his only opera, unfinished, composed between 1930 and 1932 in reaction to the growing anti-Semitism in Germany. It will be created in a concert version only in 1954 in Hamburg under the direction of Hans Rosbaud.

Gertrud & Nuria Schoenberg, Hans Rosbaud - Moise & Aaron creation - Hambourg - 1954
Gertrud & Nuria Schoenberg, Hans Rosbaud – Moise & Aaron première – Hambourg – 1954
Mélomane de bonne volonté, si vous êtes un peu effrayé par le nom de Schoenberg, hormis La nuitPelléas et les Gürre Lieder, là, il y aurait de quoi fuir :  un opéra (du Schoenberg chantant ?), sur un sujet biblique (Moïse tentant de convaincre Aaron de prêcher au peuple l’existence d’un Dieu invisible) et dodécaphonique qui plus est. C’est pourtant une œuvre passionnante et… dramatique.

Au débit, certaines longueurs, du Sprechgesang, le peuple symbolisé par un chœur avec six voix solistes, pas du meilleur effet.

Au crédit : la musique de Schoenberg toujours aussi inventive, variée et prenante, de superbes scènes dramatiques et surtout son contrepoint savant .

Citons Pierre Boulez : Un premier niveau est celui, religieux, du Dieu « irreprésentable » et « invisible ». Un deuxième est plus métaphysique : la vie a-t-elle un sens, implique-t-elle un but que l’on puisse comprendre ? Ce but est-il définissable ? Enfin, un troisième niveau est celui de la relation de l’art et du langage : peut-on imaginer un langage artistique qui ait aussi un pouvoir ? En l’employant, m’est-il possible de convaincre quelqu’un ?

On notera que l’œuvre ne comprend pas moins de 3 orgies, mais à la Schoenberg, pas à la Richard Strauss…

Pour mettre l’eau à la bouche, l’interlude dans cette version Boulez – 1995, qui paraît définitive (malgré Rosbaud – 1954, Scherchen – 1966, Gielen – 1974, Boulez – 1974, Kegel – 1976 et Solti – 1984).

Music lover of goodwill, if you are a little frightened by the name of Schoenberg, except The Night, Pelléas and Gürre Lieder, everything is there to make you flee: an opera (singing Schoenberg?), on a biblical subject (Moses trying to convince Aaron to preach to the people the existence of the invisible God) and moreover a dodecaphonic piece. It is however an enthralling work and… dramatic.

To the debit, certain lengths, Sprechgesang, the people symbolized by a chorus with six soloists, not of the best effect.

To the credit: the music of Schoenberg always so inventive, varied and fascinating, superb dramatic scenes and especially its erudite counterpoint.

Let us quote Pierre Boulez: A first level is the religious one, of “unstageable” and “invisible” God “. A second is metaphysical: does the life have a direction, implies a goal that one can understand? Is this goal definable? Lastly, a third level is the relation of art and language: can one imagine an artistic language which has also a power? By employing it, is it possible for me to convince somebody?

The work includes 3 orgies, but in a Schoenberg’s way, not in a Richard Strauss’s one… Here [left], the interlude in this Boulez recording- 1995, which appears definitive (in spite of Rosbaud – 1954, Scherchen – 1966, Gielen – 1974, Boulez – 1974, Kegel – 1976 and Solti – 1984).

Zoltán Kodály – Sonate pour violoncelle seul – Cello sonata – Emmanuelle Bertrand

Zoltán Kodály – Sonate pour violoncelle seul – Cello sonata op. 8 – Emmanuelle Bertrand

Emmanuelle Bertrand - Zoltan Kodaly - Amoyel
Emmanuelle BertrandZoltan Kodaly – Pascal Amoyel

La Sonate pour violoncelle  op. 8 de Zoltán Kodály est devenue une pièce presque obligée du répertoire des violoncellistes ; on s’est amusé à recenser les versions plus ou moins disponibles…

James Barralet
Jiri Barta
François-Xavier Bigorgne
Lluis Claret
Nathalie Clein
Kim Cook
Roel Dieltiens
Daniel Domb
Gordon Epperson
Pierre Fournier
Alban Gerhardt
Leonid Gorokhov
Nancy Green
Jerry Grossman
Lionel Handy
Christophe Henkel
Michael Kanka
Maria Kliegel
Ludwig Michael
Xavier Phillips
Raphaël Pidoux
Jean-Guihen Queyras
Suzanne Ramon
Guido Schiefen
Janos Starker
Michel Strauss
Henrik Dam Thomsen
Paul Tortelier
Bion Tsang
Peter Wispelwey

En italique, celles que l’on a pu écouter. Il en manque (Piatigorsky…) et apparemment Rostropovitch ne l’a jamais enregistrée. Les versions Clein et Kliegel sont très honorables, Queyras (on se rappelle d’excellents concertos de Haydn et suites de Bach) est très élégant mais ça manque singulièrement de corps, Xavier Phillips n’a pas laissé grande impression. La seule version que l’on peut mettre en regard de celle d’E. Bertrand est celle du « prince des violoncellistes », Pierre Fournier, (ici dans un enregistrement public de 1959 (Praga) – à ce propos, on aimerait bien connaître celle du violoncelliste du quatuor Prazak, l’excellent Michael Kanka.

Emmanuelle Bertrand prend son temps : 10 à 20% plus lente que Fournier dans chacun des 3 mouvements. On perd peut-être un peu de naturel dans les nombreuses figures rythmiques, mais on y gagne en intériorité : on se sent guider par elle dans un voyage intérieur, conforté par sa technique impeccable, son intonation infaillible,  sa sonorité aussi aérienne que fruitée et la qualité exceptionnelle de la prise de son. Pour une fois, on est très content de toutes les distinctions qu’elle a pu recevoir récemment du milieu de la critique professionnelle.

Une musicienne au sens fort du mot à la discographie déjà très fournie.

The cello Sonata Op. 8 by Zoltán Kodály has become an almost obliged part of the repertory for cellists; we have listedleft–  the versions more or less available… In italics, those we have listened to. Some surely are missing (Piatigorsky…) and apparently Rostropovitch never recorded it. The versions Clein and Kliegel are very honorable, Queyras (one remembers excellent concertos of Haydn and Bach Suites) is very elegant but presents a very light body, Xavier Philips did not leave great impression. The only version which one can place against E. Bertrand is from the “prince ofcellists”, Pierre Fournier, (here in a public recording of 1959 (Praga) – on this subject, we would like to listen to the version by the cellist of the Prazak quartet, the excellent Michael Kanka.

Emmanuelle Bertrand takes her time: 10 to 20% slower than Fournier in each of the 3 movements. Perhaps we lose a little naturalness in the many rhythmic figures, but we gain in interiority: one feels to be guided in an interior voyage, consolidated by her impeccable technique, her infallible intonation, her splendid sonority and the exceptional quality of the sound recording.

For once, we agree with all the distinctions she recently received from the (French) professional criticis.

A true musician with an already extensive discography.

Emmanuelle Bertrand - Pascal Amoyel
Emmanuelle Bertrand – Pascal Amoyel

L’album, à côté de la suite n° 3 de Britten et d’une suite de Gaspar Cassado, propose Itinérance, de son compagnon Pascal Amoyel, œuvre très prenante, plus immémorialle que contemporaine, qui se termine par le chant – vocal – de la violoncelliste, comme pour exprimer l’indicible de la condition humaine. Je n’en dirai pas plus que l’excellent commentaire de l’album dû à Sylviane Falcinelli.

L’album est complété par un DVD intéressant, notamment une séquence de travail sur la sonate de Kodaly, la complicité de son directeur artistique lors de l’enregistrement et l’intervention de Pascal Amoyel (photo).

Cf. aussi « Le concert idéal« .

Un maître-disque !

Besides Britten Suite n° 3 and a Suite by Gaspar Cassado, the album proposes Itinérance, a work by her companion Pascal Amoyel, a  very fascinating work, more unmemorable than contemporary, which ends with the singing – vocal – of the violoncellist, like telling the inexpressible human condition. I will not tell more than the excellent comment of the album by  Sylviane Falcinelli [fr].

The album is supplemented by an interesting DVD, in particular a sequence on the Kodaly sonata, the complicity with her artistic director during the recording and the intervention of Pascal Amoyel (photo).

Magnifiscent…

Franco Donatoni – Ensemble Fa – Dominique My

Franco Donatoni – Ensemble Fa – Dominique My

Franco Donatoni - Ensemble Fa - Dominique My

Franco Donatoni
Franco Donatoni

On entend moins la musique de Franco Donatoni (1927 – 2000) depuis quelques années. Sa carrière démarra sous les auspices de Goffredo Petrassi et de Bruno Maderna, avant de découvrir les musiques de Pierre Boulez et Karlheinz Stockhausen dans les années 50-60 à Darmstadt.

Malgré les nombreuses influences qu’il subit, son œuvre présente certaines constantes : une certaine beauté plastique, une musique très animée, avec des couleurs toujours claires, si ce n’est méditerranéennes…

Le présent CD est l’édition d’un concert donné par l’ensemble Fa de Dominique My en 1996. Les 6 œuvres présentées donnent un bon aperçu de cette œuvre (près de 200 opus…), même s’il est limité à un orchestre de chambre : For Grilly (1960), Etwas ruhiger in Ausdruck (1967) ; Lumen (1975), Spiri (1977), Le ruisseau sur l’escalier (1983) et Refrain III (1993).

La pièce la plus ancienne, For Grilly pour 3 vents, 3 cordes et percussionniste a beaucoup de charme et maintient l’intérêt tout au long de ses 6 mn.

Etwas ruhiger in Ausdruck est écrit à partir de la Pièce op. 23 n°2 pour piano de Schoenberg ; de tendance sérielle, elle reprend le dispositif instrumental du Pierrot lunaire. Son atmosphère est plus raréfiée, sempre pianissimo, c’est en quelque sorte une série de variations placides sur la pièce originelle ; même si elle ne se départit pas d’une certaine élégance, son refus de toute dynamique laisse l’auditeur en attente d’un évènement consistant…

Lumen est écrit à la mémoire de Luigi Dallapiccola, à partir de fragments d’œuvre retrouvés chez le compositeur. Ce tombeau commence par une sorte de thrène à la flûte, accompagnée par la clarinette basse pour ensuite pour atteindre un climax très coloré aux sonorités inouïes.

Spiri pour dix instruments, tourne un peu en rond, à la manière d’Etwas, mais de nombreuses guirlandes donnent à la pièce son charme lumineux et presque gai.

Le ruisseau sur l’escalier est une œuvre pour 19 instruments et violoncelle solo (Véronique Marin). De beaux passages, comme souvent de nombreux babillages ornithologiques, mais la nécessité du dialogue violoncelle / ensemble ne convainc guère.

Enfin, Refrain III paraît à la fois plus ascétique et bavard, çà sonne un peu comme du Donatoni néoclassique !

It seems we hear less of the music of Franco Donatoni (1927 – 2000) these days. His career started under the auspices of Goffredo Petrassi and Bruno Maderna, before discovering the musics of Pierre Boulez and Karlheinz Stockhausen in the 50-60’ in Darmstadt.

In spite of the many influences which it undergoes, his work presents certain constants: a certain plastic beauty, a very animated music, with always clear colors, if not Mediterranean…

This CD is the edition in a concert given by the Ensemble Fa under Dominique My in 1996. 6 works presented give a good outline of this work (nearly 200 opus…), even if it is limited to a chamber orchestra: For Grilly (1960), Etwas ruhiger in Ausdruck (1967); Lumen (1975), Spiri (1977), Le ruisseau sur l’escalier (1983) and Refrain III (1993).

The oldest part, For Grilly for 3 winds, 3 cords and percussionist has much charm and maintains the interest throughout its 6 mn.

Etwas ruhiger in Ausdruck is written starting from the piece op. 23 n°2 for piano of Schoenberg; of serial tendency, with the instrumentum of Pierrot Lunaire. Its atmosphere is rarefied, sempre pianissimo, it is to some extent a series of placid variations on the original piece; even if it shows always a certain elegance, its refusal of any dynamics leaves the listener waiting for a consistent event…

Lumen is written in the memory of Luigi Dallapiccola, starting from fragments found in the composer’s home. This piece starts with a kind of threnody to the flute, accompanied by the low clarinet reaching a very coloured climax with amazing sonorities.

Spiri for ten instruments turns a little in round, in the manner of Etwas, but is luminous and almost charming.

Le ruisseau sur l’escalier (The brook on the staircase) is a work for 19 instruments and solo cello (Veronique Marin). Beautiful passages, as often many ornithological prattling, but the need for the dialogue violoncello/together hardly convinces.

Lastly, Refrain III appears at the same time more ascetic and talkative, it sounds a little as neo-classic Donatoni!

Philippe Manoury – Zeitlauf

Philippe Manoury – Zeitlauf

Philippe Manoury - Zeitlauf
Philippe Manoury – Zeitlauf

Philippe Manoury se voit fêtés ses 60 ans un peu partout.  Actuellement encore à San Diego, à partir de janvier 2013, il enseignera la composition au Conservatoire de Strasbourg et sera compositeur en résidence à l’Orchestre de chambre de Paris. 
Je relate ici la découverte de son œuvre abondante (plus de 60 œuvres de 1973 à 2012), en ne commentant que les partitions qui m’ont accroché.

Philippe Manoury nous déclarait récemment qu’il ne comprenait pas pourquoi on le prenait pour un « compositeur allemand » – un clin d’œil : écrire Zeitlauf (1982), une pièce de 67′ sur un texte allemand original de Georg Webern (!), basée de plus sur des notions de mémoire et prédictibilité…

On pourra lire avec intérêt la remarquable étude d’Alain Poirier « Philippe Manoury : La courbure du parcours« , notamment les passages concernant cette œuvre, invoquant l’art des transitions de Wagner et la dualité cycle / individualisation des parties de Momente de Stockhausen.

L’enregistrement paru en 1990 chez le défunt éditeur Erato et enregistré en 1984 par le Groupe vocal de France et l’Ensemble intercontemporain sous la direction de Peter Eötvös est devenu introuvable. C’est bien une gageure que de donner en concert une œuvre de cette nature et aussi longue et je serais curieux de connaître le nombre d’exécutions depuis la création. On peut néanmoins l’entendre sur Youtube, mais dans de bien moins bonnes conditions que sur sa chaîne hi-fi – superbe enregistrement. 

L’œuvre est écrite pour douze voix mixtes, neuf cuivres, trois percussions et un dispositif électroacoustique en temps réel. Après 7 à 8 minutes d’introduction, le poème apparaît, de façon amusante : « Zu beginn… ». Malgré la longueur, l’intérêt est soutenu par la prolifération des timbres (électronique, percussions, cuivres), des rythmes, les ruptures, les réminiscences. On notera par exemple la poésie du 10 (« Est lebste ein König in Spanien »).

Parmi les nombreuses vidéos que l’on peut trouver sur le Net, cf. un petit reportage sur une de ses dernières œuvres : son Concerto pour piano, orchestre et électronique (2012) et une interview sur France Musique (juin 2012) (où l’on comprend son intérêt toujours vif pour Sviatoslav Teofilovitch Richter…).

Philippe Manoury’s 60 years are celebrated this year. Currently still in San Diego, as from January 2013, he will teach composition at the Academy of Strasbourg and will be a composer in residence with the Chamber orchestra of Paris.
I report here the discovery of his abundant work (more than 60 works from 1973 to 2012), by commenting on only the partitions which appeal to me.
Philippe Manoury declared us recently that he did not understand why he is often taken for a “German composer” – to write Zeitlauf (1982), a work of 67′ on an original German text of Georg Webern (!), based moreover on concepts of memory and predictibility…

The recording published in 1990 by the late Erato editor and recorded in 1984 by the Groupe vocal de France and the Ensemble intercontemporain under Peter Eötvös cannot be found anymore. It is certainly a challenge to give in concert a work of this nature and so long and I would be curious to know the number of executions since its creation.
One can nevertheless hear it on Youtube, but in much less good conditions than on a hi-fi system – superb recording. 
The work is written for twelve mixed voices, nine brass, three percussions and a real-time electro acoustic device.
After 7 to 8 minutes of introduction, the poem appears, in an amusing way: “Zu beginn…”.
In spite of the length, the interest is supported by the proliferation of the tilmbers (electronic, percussions, coppers), of the rates/rhythms, the ruptures, the reminiscences.
For example the poetry of the 10th (“Is lebste ein König in Spanien”).

Philippe Manoury – Inharmonies – Accentus – Laurence Equilbey

Philippe Manoury – Inharmonies – Accentus – Laurence Equilbey

Philippe Manoury - Inharmonies - Accentus - Laurence Equilbey
Philippe Manoury – Inharmonies – Accentus – Laurence Equilbey

Laurence Equilbey : on avait eu d’excellents échos des ses Vêpres de Rachmaninov et on est fan de son disque de transcriptions, notamment celles de Mahler.  

Laurence Equilbey: I have had excellent echoes of her Rachmaninov’s Vespers and am rather fan of her disc of transcriptions, in particular those of Mahler.

Interview de Laurence Equilbey à propos d’Inharmonies (FR)

Récemment réjoui à l’audition de CDs de Philippe Manoury, voilà que l’on découvre ce disque qui nous avait échappé lors de sa parution l’an dernier.

On ne s’attendait évidemment pas à ce que les textes soient du niveau de « Au clair de la lune » (titre qui fait finalement penser aux Viennois et à Dutilleux…). Non, là on est dans du dur : Héraclite, Leonardo, Trakl…

La première œuvre présentée, Fragments d’Héraclite (2002-2003), commence non par le chœur mais par des instruments tintinnabulants avec quelques chuchotements. Les voix font leur entrée et, malgré quelques tintements et cris, on est pris de suite par l’intériorité de l’œuvre : quelle maîtrise d’écriture (on aimerait regarder la partition) et d’interprétation ! L’auteur m’en voudra certainement de penser que cette pièce se situe finalement dans la filiation de l’oratorio français, même si l’on n’est évidemment pas dans le Saint-Sulpicien… Une musique à la fois très intériorisée tout en étant d’un écriture virtuose.
Deux remarques : comme souvent dans les œuvres modernes pour ensembles dissociés, il est assez difficile ici de différencier dans son salon les 3 groupes de chanteurs ; d’autre part on n’imagine pas cette œuvre chantée par le Chœur de Radio France ou celui de la Radio Bavaroise ou même un autre chœur de chambre : c’est vraiment fait pour Accentus, qui nous transmet là un vrai chef d’œuvre.

Inharmonies (2008) est une pièce plus expérimentale, écrite en fonction de possibilités apportées par la création d’un diapason électronique par P. Manoury, permettant d’indiquer à l’exécutant n’importe quelle fréquence, même bien en deçà du demi-ton. Un extrait est disponible sur le site du Compositeur.

Slova (2001-2002) a été écrite à la suite de son opéra K… En 3 mouvements, dont 2 ajoutés ultérieurement,  l’auteur parle à son sujet d’une réminiscence de symphonies de Mahler, ce qui se ressent effectivement. La virtuosité du chœur dans le 3e mouvement « angoisse » est impressionnante.

Enfin, Trakl gedichte (2006) nous apporte encore son lots de sonorités sidérales – et sidérantes.

Bref, ce petit papier pour interpeller encore notre lecteur idéal (« le mélomane honnête qui veut bien s’intéresser à la musique ‘contemporaine’ « ) : qu’il sache qu’après l’écoute, on a envie de rejouer ce CD plutôt que celui des transcriptions de Mahler par Accentus…


(12/3/13) : J’y reviens, sur  Fragments d’Héraclite : pour confirmer qu’il s’agit pour mois d’un chef d’œuvre remarquable. Je ne saurais pas analyser les alliages sonores qu’il obtient du chœur, c’est extrêmement sophistiqué et pourtant mes oreilles boivent ça comme « du petit lait ». Ça ne fonctionne évidemment pas en termes de « tension – détente » comme dans la musique tonale, mais la variété de registres, de temps, de dynamiques donnent l’impression d’une organisation comparable. C’est remarquable qu’après par exemple Messiaen, Ligeti ou Penderecki, on puisse écrire une œuvre chorale si originale et aboutie.
Dans mon projet de grand papier pour amener l’honnête mélomane à la musique contemporaine, Fragments y figurera sûrement. Et que l’auteur se rassure, ça ne sonne pas Allemand !

/Recently delighted by CDs of Philippe Manoury, I have just discovered this CD which I missed at the time of its publication last year. 

The first work, Fragments of Heraclites (2002-2003), starts not with the chorus but with tintinnabulations and some whispers. The voices make their entry and, in spite of some noises and shouts, one is taken by the interiority of work: what mastery (we would be interested in viewing the score) and what interpretation! The composer won’t be happy to read this maybe: that this piece for me is ultimately in the filiation of the French oratorio. A music at the same time very interiorized while being so virtuoso. 

Two notes: as often in modern works for dissociated sets, it is rather difficult to differentiate here in his living room the 3 groups of singers; in addition, we can’t imagine this work sung by the Radio France Chorus or that of the Bavarian Radio or even another chamber chorus: it is really done for Accentus, which transmits there a true chef d’œuvre

Inharmonies (2008) is a more experimental part, written according to possibilities brought by the creation of an electronic diapason by P. Manoury, allowing to indicate to the performer any frequency, even well below the semitone. An extract is available on the composer’s site

Slova (2001-2002) was written following the opera K… In 3 movements, including 2 additions later on, the author speaks about it of a reminiscence of Mahler’s symphonies, which can be heard. The virtuosity of the chorus in the 3rd movement “anguish” is impressive.

Lastly, Trakl gedichte (2006) still brings its batches of sidereal – and striking sonorities to us. 

In short, this small paper to still challenge our ideal reader (“the honest music lover who wants to discover some “contemporary” music”): he must know that after the listening of this CD showing so much inventiveness, one wants less to play the CD of the transcriptions by Accentus than the 1st track of this one…

Henri Dutilleux – 2e symphonie – 2nd symphony

Henri Dutilleux – 2e symphonie – 2nd symphony

Henri Dutilleux
Henri Dutilleux

L’aîné des compositeurs français vivants, âgé de 96 ans, Dutilleux aura été une des figures marquantes de la musique du XXe siècle.

Pour aborder son œuvre, on peut certes commencer par la musique de ballet Le loup dont il existe un fameux enregistrement par Georges Prêtre, repris d’ailleurs dans un coffret économique de 5 CD chez Virgin, mais aussi par cette 2e symphonie « le Double » (1959). Le fameux couplage Tout un monde lointain avec ce concerto pour violoncelle de Lutoslawski par Rostropovitch montrait bien l’antagonisme de style entre les deux compositeurs : au dynamisme un peu rude du Polonais répondait l’élégance et le raffinement du Français.
 Une citation de Nicolas Darbon à propos de la musique de Dutilleux   : « chaos momentanés, brouillards rythmiques, éloignement tonal, vaporisation mélodique, clusters harmoniques sur des tenues pianissimi ».

Pour Henri Dutilleux : « le processus de mémoire joue un grand rôle dans la plupart de mes partitions ». Effectivement, l’approche de la musique de Dutilleux nécessite un attention certaine, malgré un langage harmonique qui n’heurte pas.

Une fois surmonté un certain hermétisme dû à la complexité de la construction et à une certaine uniformité apparente de ton, on se repaît ensuite des couleurs et des ambiances si poétiques de cette musique.

L’ostracisme ambiant en France vis-à-vis des compositeurs qui n’étaient pas dans la ligne « Boulézienne » fit que Dutilleux dut se tourner vers l’étranger pour des commandes (Koussevitsky, Szell, Ozawa…). Il semble d’ailleurs que  son jeune cadet Boulez n’ait jamais dirigé sa musique alors qu’il l’a fait il y quelques années pour André Jolivet, qu’il surnommait pourtant « joli navet » dans sa jeunesse. Néanmoins  le « boulézien » Philippe Manoury déclarait dans un récent ouvrage considérer le quatuor Ainsi la nuit comme un chef d’œuvre absolu.

On a comparé les versions Barenboïm, Bychkov et Tortelier (il existe par ailleurs Graf, Munch, Plasson et Saraste). Mentionnons que le titre Le double fait référence au fait qu’il y a deux ensembles instrumentaux qui se répondent : un groupe de 12 instruments (dont un clavecin) et l’orchestre. Mais c’est bien difficile à percevoir au disque.

L’œuvre commence par un motif incantatoire qui fait irrésistiblement penser au Loup. Les trois mouvements seront une suite de variations,  notamment sur ce motif. On a pu parler à propos de cette symphonie des influences croisées de Schoenberg (Dutilleux cite volontiers Farben des 5 pièces op. 16), Debussy ou Stravinsky. Si l’on entend effectivement certaines ambiances du Sacre dans le 3e mouvement, on pourrait aussi se référer au dernier Honegger, à Bartok, voire à Dukas… 

Des trois versions, bien que le compositeur a déclaré très apprécier celle de Tortelier, on a retenu plutôt Barenboïm pour le soin donné aux phrasés et aux couleurs, mais il nous semble que Bychkov y donne un peu plus de dynamisme. En outre, son disque se poursuit avec Timbres, espace, mouvement (1978) (mais on a l’impression d’entre la suite du Double…) et surtout les Métaboles (1964), œuvre phare du compositeur.

Dutilleux - Orchestre de Paris - Semyon Bychkov
Dutilleux – Orchestre de Paris – Semyon Bychkov

 The elder of French composers – 96 years old -Henri Dutilleux will have been one of the outstanding figures of the music of the XXth century.

To approach his work, one can certainly begin with the ballet music Le loup – there is a famous recording by George Prêtre, included in an economic box of 5 CD at Virgin -, but also by this 2nd symphony “the Double” (1959).
The famous coupling Tout un monde lointain with the cello concerto by Lutoslawski performed by Rostropovitch showed well the antagonism of style between the two composers: the rather hard dynamism of the Polish comparing to the elegance and refinement of the French. 
A quotation by Nicolas Darbon in connection with the music of Dutilleux   : “temporary chaos, rhythmic fogs, tonal distance, melody vaporization, clusters harmonic on pianissimi”. For Henri Dutilleux: “the process of memory plays a great part in the majority of my partitions”. Indeed, the approach of the music of Dutilleux requires an unquestionable attention, in spite of a harmonic language which should not bother much.

Once overcome a certain hermetism due to the complexity of construction and an apparent uniformity of tone, one goes back to the colors and so poetic environments of this music. Ambient ostracism in France with composers who were not in the “Boulezian” line made Dutilleux to turn to the foreign countries for commissioning (Koussevitsky, Szell, Ozawa…). It seems besides that Boulez never conducted his music whereas he did it a few years ago for André Jolivet, whom he called “pretty turnip (joli navet)” in his youth.

Nevertheless, the “boulezian” Philippe Manoury stated in a recent book that Ainsi la nuit was an absolute chef d’œuvre. We have compared the Barenboïm, Bychkov and Tortelier versions (there is in addition Graf, Munch, Plasson and Saraste). Let us mention that the title Le double refers to the fact that there are two instrumental sets: a group of 12 instruments (including a harpsichord) and the orchester. But it is quite difficult to perceive it on a stereo set.

Work starts with a “plaintive call” which irresistibly makes think of Le loup. The three movements will be a succession of variations, in particular on this motive. Influences have been quoted about this symphony: Schoenberg (Dutilleux quotes readily Farben of the 5 pieces Op. 16), Debussy or Stravinsky. If one hears indeed certain patternss of Le sacre in the 3rd movement, one could also refer to the last Honegger, Bartok, even Dukas… 
Of the three versions, although the composer stated he appreciated the Tortelier’s one, we rather prefered Barenboïm for the care given to phrasing and colors, but it seems to us that Bychkov gives to it a little more dynamism. Moreover, his CD continues with Timbres, espace, mouvement (1978) (but it gives the impression of a continuation of le Double…) and especially Métaboles (1964), a more famous work by Dutilleux.

Falla – Nuits dans les jardins d’Espagne – Nights in the Gardens of Spain

Falla – Nuits dans les jardins d’Espagne – Nights in the Gardens of Spain

Falla - Nuits dans les jardins d'Espagne - Nights in the Gardens of Spain

Falla – Nuits dans les jardins d’Espagne – Nights in the Gardens of Spain

 

Ne lisez pas tout de suite ce qui suit ! c’est une tentative de réhabiliter  une fois de plus un enregistrement mésestimé de Kubelik. Mais ce n’est pas le plus important : l’important est que Pierre Barbier – Pragadigitals -a encore réussi un tour de magie : tout mélomane un peu âgé connaît par cœur cet enregistrement du Tricorne par Ansermet, non seulement par son indépassable interprétation, mais aussi par la « fabuleuse » prise de son Decca de l’époque. Eh bien, il réussit à nous restituer encore mieux cet enregistrement : les timbres sont mieux caractérisés, il y a « de l’air » entre les instruments, et surtout on « sent » le chef d’orchestre diriger, comme pour une bonne prise de concert, comme si on était dans le studio. On entend même pour la première fois une légère fausse note à 2’54 » dans le 2e mouvement du Tricorne… Bref, précipitez-vous !

Il est bien intéressant de pouvoir comparer deux versions des Nuits dans les jardins d’Espagne a priori bien différentes, voire antagonistes : d’un côté une pianiste très célèbre qui fut à ses dires quasiment toujours mécontente de ses enregistrements studio avec orchestre et dont un des chefs d’orchestre préférés était Raphaël Kubelík, de l’autre une pianiste, Margrit Weber, dont on sait peu de choses de nos jours, avec un chef alors vedette du fameux label jaune qui accepta d’enregistrer en studio des œuvres qui n’étaient pas à son répertoire habituel : Concerto de Grieg, Fireworks ou Water music de Haendel, etc. La version Kubelík est-elle si musicienne mais un peu Franckiste comme j’ai pu l’écrire ?

1er mouvement : Chez Kubelík, l’entrée est superbe, le piano moins brillant que l’on attendrait, un peu dans les touches de l’instrument. De l’abattage de la part de la pianiste mais çà ne sonne pas espagnol, plutôt un peu « gras ». Kubelík est là tel un grand maître, on le voit diriger cela…

Avec Haskil / Markevitch, c’est plus posé, avec des sonorités plus recherchées, mais c’est moins « organique », l’orchestre est plus extraverti que chez Kubelík, mais il a tendance à couvrir la soliste, qui ne fait d’ailleurs pas forte impression. Bref, si l’orchestre fait (faussement ?) plus couleur locale, mais avec apparemment un accord de l’orchestre un peu plus haut, on est un peu mitigé.

Le 2e mouvement : on se dit que c’est tellement espagnol (quel compositeur !) que Kubelík va avoir du mal, surtout vue l’imbrication piano / orchestre de ce mouvement ; le piano est toujours un peu en retrait au point de vue des timbres mais a de l’alacrité, certes les vents n’ont pas tout à fait la couleur idoine, le rythme peut paraître un poil empesé… mais tout est tellement musical.

Haskil : c’est un peu plus rapide, encore un peu réglé plus haut, c’est plus criard et extraverti, mais on peut prendre çà comme une qualité ici, le pianisme est plus délié, mais on ne peut s’empêcher de penser que la caractérisation plus importante de la partition se fait au détriment de son unité : beaucoup de -superbes- effets à l’orchestre  mais quand la pianiste veut être à l’unisson, çà détimbre un peu.

On est encore moins sûr pour le 3e mouvement : c’es toujours apparemment plus vivant chez Markevitch, mais c’est quand même assez brouillon et un peu agressif  au niveau de l’orchestre et le piano sonne dur.
Bref, c’est plus musicien chez Kubelík, mais peut être plus couleur locale et vivant chez Markevitch. Pas de conclusion…

Do not read immediately what follows! It is an attempt to once more rehabilitate a low esteemed recording of Kubelik. But it is not the most important: the important thing is that Pierre Barbier – PragaDigitals – has again made a turn of magic: any rather old music lover knows this recording of the Three cornered hat by Ansermet, not only by his unsurpassed interpretation, but also by the “fabulous” sound recording Decca of 1961. Well, it’s even better in this reissue, restored from original tapes : tones are more characterized, there is “air” between the instruments, and one can feel the conductor’s gestures, as for a good live recording, as if one were in the studio.

Just get it!


It is quite interesting to be able to compare two versions of the Nights in the gardens of Spain a priori so different, even antagonistic: on a side a very famous pianist who declared being almost always dissatisfied with her studio recordings with orchestra, whom one of her preferred conductors was Raphaël Kubelík, on the other side, a pianist, Margrit Weber, with a conductor who accepted for the famous yellow label to record in studio works which didn’t belong to his usual repertory: Concerto of Grieg, Fireworks or Watermusic by Haendel, aso.

1st movement: With Kubelík, the entry is superb; the piano has less brilliance we could expect. Mastery from the pianist but it does not sound Spanish, rather a little “fatty”. Kubelík is there as usual a superb musician, one sees him directing that…
With Haskil/Markevitch, it is more posed, with more sought sonorities, but it is less “organic”, the orchestra is more extraverted than Kubelík, but it tends to cover the soloist, who does not make strong impression besides. In short, if the orchestra shows (wrongfully?) more local colour, with an orchestra tuning a little bit high, one is rather mitigated.

2nd movement: one thinks that it is so Spanish that Kubelík will not pass, especially with the overlap piano/orchestra of this movement; the piano is a little soft-toned, but has alacrity, certainly the winds do not have the suitable color, the rhythm can appear a little bit heavy… but all is so musical.
Haskil: it is a little faster, still in higher tone, it is more yelling and extraverted, but one can take that as a quality here, the pianism is more untied, but one can prevent oneself from thinking only the more important characterization of the partition is done to the detriment of its unit: much of – superb effects – to the orchestra but when the pianist wants to be in unison, it loose colour.

We are even less sure for the 3rd movement: it is always apparently more alive with Markevitch, but it is nevertheless rather aggressive at the orchestra and the piano sounds hard. In short, more musicianship with Kubelík, but more “local colour” and alive with Markevitch.
No conclusion…