Tedi Papavrami – Fugue pour violon seul
Difficile de se détacher de la couverture de l’ouvrage, hypnotisé par le regard limpide de ces grands yeux verts, comme magnifiés par le contraste du violon miniature.
Ce livre une fois entamé de vous lâchera plus ; chronique d’une des dernières dictatures communistes jusqu’à la chute du Mur : l’Albanie d’Enver Hoxha, du long cheminement de l’apprentissage musical d’un enfant prodige, de l’exil inespéré en France, de l’apprentissage de la vie.
Tous les grand violonistes passés sont cités ; Tedi ne deviendra pas le nouvel Heifetz (un de ceux qui portait pour lui au plus haut point « l’incandescence » de l’interprétation), il n’y a d’ailleurs plus de Heifetz ou d’Oïstrakh de nos jours, mais une pléthore d’excellents violonistes qui, sans doute enfants prodiges eux-mêmes, n’auront pas eu la malchance (ou la chance finalement ?) de naître en Albanie sous le régime « d’Oncle Enver », pays qui outre la dictature terrible qu’il subissait ne connût la musique classique occidentale qu’après s’être libéré du joug ottoman en 1912.
Dommage que seules quelques pages à la fin de l’ouvrage évoquent la période allant de son dernier prix de concours (Sarasate) à aujourd’hui. Sans doute après tant d’épreuves a-t-il aspiré à plus de tranquillité, en prenant un poste de professeur de violon à Genève. En tous cas voilà un livre très attachant, qui aurait pu être également dédié au regretté flûtiste français Alain Marion, à l’origine de toute l’histoire de Tedi, mais on laissera le lecteur le découvrir.
Pour finir un passage qui donne une idée de l’humour pince-sans-rire de Papavrami pour décrire la dictature albanaise :
« Nos journaux ne sont en général que célébrations des vivants à qui l’on tresse des lauriers sauf dans les pages traitant de l’actualité internationale ou l’on se rattrape largement : se bousculent les impérialistes américains capables de massacrer des milliards d’innocents à coups de bombe atomique, les manifestations des ouvriers du monde entier écrasées dans le sang par la police de ces régimes cruels, et les enfants éthiopiens qui meurent de faim parce qu’ils n’ont pas, comme nous, la chance de vivre en Albanie. De plus, là-bas, les gens subissent – ou font ? – quelque chose d’effroyable, décrit par un mot mystérieux à la sonorité particulièrement sinistre : la grève. Tout ce que j’en sais, c’est que chez nous il n’y en a jamais. Une telle calamité ne risque pas de nous arriver ! Quant à nos « manifestations », elles se limitent aux défilés de citoyens qui ont spontanément envie de chanter, danser, ou de marcher tous ensemble en brandissant pancartes, banderoles et fleurs en papier pour exprimer leur joie de vivre dans une société aussi parfaite, de baigner dans un amour aussi immense que celui qui les unit au Parti et, accessoirement, d’être bien nourris, contrairement aux Américains-grévistes-Ethiopiens. »
Fugue pour violon seul – Tedi Papavrami – Robert Laffont – 2013 – 320p. – 21,00 €