Sera Tokay – Le corps musicien
Serâ Tokay a mené une carrière de chef d’orchestre pendant de nombreuses années, nous avions eu la chance de la rencontrer à cette occasion – cf. interview. Elle semble maintenant s’être dirigée vers la philosophie et vient de publier cet ouvrage consacré au « corps musicien » à la lumière de la phénoménologie (« étude de phénomènes dont la structure se base sur l’analyse directe de l’expérience vécue par un sujet »).
N’étant pas un spécialiste en la matière, elle a bien voulu m’adresser cette présentation de son ouvrage :
« Que notre relation à la musique passe par le corps est – au moins, pour chaque instrumentiste – une évidence sans surprise. Admise sans débat, cette condition corporelle est trop souvent négligée quand on parle de « l’expérience musicale » qu’ont en partage (au sein de la formation culturelle du grand orchestre symphonique des XIXème–XXème s.) : les musiciens, le chef d’orchestre, les mélomanes, sans oublier le compositeur. De ce qui est commun à tous les participants du domaine musical, trop d’explications préconçues viennent à l’esprit pour qu’on s’arrête sur la contribution du corps en mouvement, là où le sens commun croit plutôt retrouver le primat universel des émotions, le philosophe une occasion privilégiée de remonter aux origines de notre sens du temps, le scientifique un comportement biologiquement fondé sur les mécanismes mentaux de l’empathie, mode de communication sociale équivalent au langage. En réaction à cette esquive généralisée de ce qui est proprement en question dans la musique, Serâ Tokay dans Le corps musicien avance une thèse audacieuse. L’animation formatrice du corps propre dans l’expérience du « faire de la musique », qui est celle de chaque instrumentiste (ou celle du chef avec sa gestique élaborée), doit être comprise non comme une simple exécution subordonnée, mais bien comme l’ultime source constituante du sens des œuvres musicales (entendons non leur notation sur la partition, mais les idées musicales exprimées),
de leur interprétation inspirée en concert par le grand chef, de leur écoute sensible (chez l’auditeur cultivé), de leur inscription destinale, enfin, dans l’histoire spirituelle de la musique occidentale. Une analyse conduite dans la perspective de la tradition phénoménologique, mais attentive aux bases récemment mises au jour de la pratique musicale dans les structures fonctionnelles du cerveau permet à l’auteure d’étayer sa thèse sur des exemples qui seront parlants pour des musiciens : l’adagio de la Symphonie n°10 de Mahler, la Kammersymphonie n°1 de Schoenberg, la Symphonie « Surprise » n°94 de Haydn, la Symphonie op.21 d’Anton Webern, etc. Son expertise en matière de direction orchestrale a permis à Serâ Tokay d’apporter une contribution originale aux travaux de l’équipe de recherches en neurosciences animée par le Pr. Luciano Fadiga de la Faculté de Physiologie de l’Université de Ferrare ».
On trouvera ici un commentaire avisé de cet ouvrage.
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