Sandro Ivo Bartoli – Interview

Sandro Ivo Bartoli donnera un récital le vendredi 16 janvier 2015 à l’Institut culturel italien (lien vers la réservation). Au programme :
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Quelques dessin de Sandro – Some drawings by Sandro:
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| Ayant rendu compte de ses CD consacrés à Malipiero et à des transcriptions de Frescobaldi, Sando Ivo bartoli a bien voulu répondre à mon interview sous forme de questionnaire :Thierry Vagne : Pourriez vous rapidement vous présenter : votre origine familale, vos premières émotions musicales, vos études, notamment l’importance des conseils de Shura Cherkassky ? Sandro Ivo Bartoli : La musique était dans ma famille longtemps avant que je sois né. Mon Grand-père paternel avait été un clarinettiste notable qui avait joué sous la direction de Toscanini et fut toute sa vie durant ami avec amitié avec Puccini. En dépit d’un tel legs, bien que, la musique n’avait pas une place très importante quand j’étais petit. Je suis venu au piano par accident, quand ma mère a menacé de vendre un bien de famille. J’avais douze ans alors, et tout est venu très facilement pour moi. À quinze ans, j’ai donné mon premier récital, alors sont venus les premiers engagements avec des orchestres et la vie était belle ! Mais, je crois que je n’étais pas un bon étudiant : trop curieux, pas très discipliné et plutôt naïf. Je n’ai pas aimé l’école, ni mes professeurs. Tout a changé quand j’ai entendu la première fois Shura Cherkassky à Londres, en 1991. Son jeu fut une grande révélation pour moi, et j’étais complètement ébahi par son sens musical. J’ai fait ce que des millions de fan ont fait au travers des siècles : je lui ai écrit une lettre ; Il fut assez gentil de répondre, et par la suite nous devînmes des amis. Quand il était à Londres, nous passions de longues heures à son piano à l’hôtel de White House, qui était seulement tout près de mon logement de la rue d’Albany. Il jouait pendant une heure, puis je jouais une heure et ainsi de suite. De temps à autre il faisait des commentaires pénétrants, que je conserve toujours aujourd’hui très chèrement. Il m’a beaucoup aidé, non seulement dans mon jeu mais également avec le commencement de ma carrière internationale, et ma gratitude envers lui sera éternelle.TV : Puisque vous êtes spécialisé plus ou moins dans le répertoire italien pour piano, pourriez-vous nous en donner un aperçu ? (Ma connaissance de celui-ci, avant d’écouter vos CD, se bornait aux sonates de Scarlatti, de Galuppi par Arturo Benedetti Michelangeli à Luigi Nono par Maurizio Pollini…). SIB : Avec la crise financière actuelle, en Italie, nous entendons parler souvent de la fuite du talent vers des pâturages plus verts, mais j’ai peur que ce soit quelque peu endémique ici. Le piano a été soutenu à Florence autour de 1700, pourtant il a connu sa plus grande popularité et son développement technique en Allemagne, Autriche et Angleterre. Domenico Scarlatti était, à mon avis, le plus grand compositeur de clavier du dix-huitième siècle – hélas, il a travaillé en Espagne et au Portugal. À mon plaisir, comme des documents récents l’ont montré d’une manière concluante, il avait au moins neuf pianofortes pendant son séjour à la cour de Lisbonne : une partie de sa musique est ainsi absolument `pianistique’. Le grand Italien du piano qui suivit était Muzio Clementi, naturellement, mais il également a travaillé à l’étranger, en Angleterre, et est revenu en Italie rarement seulement pour des raisons familiales. Puis il y eu le plus grand de tous, Ferruccio Busoni, qui quitta également l’Italie et élut l’Allemagne en tant que sa résidence et base culturelle. Pendant les années 1800s, pratiquement tout compositeur italien important se consacra à l’opéra et à ses dérivés, mais à peine au symphonique, à la musique de chambre ou à la musique soliste. Les choses ont commencé à changer avec le nouveau siècle, quand la génération `des années ‘1880’ a tâché de rétablir la tradition instrumentale italienne. Ils n’ont pas eu le fardeau de la tradition romantique à traiter, et pouvaient, dans les meilleurs cas, produire la musique d’une liberté la vitalité sans précédent. Je me réfère en particulier à la musique d’Alfredo Casella, de Gian Francesco Malipiero, d’Ottorino Respighi et d’Ildebrando Pizzetti. Naturellement, toutes ces personnes étaient en Italie pendant le régime fasciste, et ont payé un prix lourd en années après la guerre en termes de popularité et d’appréciation. Pendant les années ’60 et les années ’70 ils ont été presque totalement ont été oubliés, mais les choses ont changé pour le meilleur ces dernières années. Je suis convaincu qu’un jour les concerts de Respighi, de Malipiero et de Casella, au moins, réapparaîtront avec la régularité sur nos programmes de concert.TV : Vous avez un répertoire large, particulièrement pour les concertos de piano. Pourriez-vous nous citer vos compositeurs préférés, et ceux que vous comptez aborder ? Et qu’en est-il du répertoire français de piano ? SIB : J’essaye d’avoir comme compositeur préféré celui que je travaille à l’heure actuelle ! Au cours des années, j’ai développé une grande fascination pour des textures musicales complexes, et je suppose que mon répertoire reflète cette tendance. Généralement, j’aime travailler sur une musique qui n’est pas trop ‘populaire’, car je crois qu’un interprète doit avoir quelque chose à dire dans ce que lui ou elle joue, et franchement je le trouve difficile à le faire quand je joue par exemple la `Pathétique’ de Beethoven et que j’ai dans ma mémoire les interprétations des grands pianistes du passé. Que peut-on encore découvrir dans un morceau de musique qui a été fréquenté par Kempff, Cherkassky, Cziffra, Cortot, Horowitz, Gould, Ashkenazy, Perahia, et tellement d’autres… Néanmoins, je dois gagner ma vie en jouant du piano, et les demandes de l’audience sont aussi importantes que les aspirations artistiques. Du répertoire standard, j’aime jouer Rachmaninov, Tchaïkovski, Chopin et Liszt notamment, moins Beethoven, Brahms et Mozart. Mais, si j’avais le choix, je préférerais jouer le concerto de Respighi modo misolidio plutôt que le 1er de Tchaïkovski. C’est une expérience musicale de libération, pour moi. Il fut un temps c’était une tradition pour les pianistes italiens de jouer beaucoup de musique française, l’initiateur fut Arturo Benedetti Michelangeli (dont les interprétations de Debussy et Ravel sont, à mon avis, magiques). Encore une fois, avec mes petits moyens j’ai cassé le moule ! Quand j’étais plus jeune j’avais l’habitude de jouer un certain Debussy (Préludes, Nocturne) et Ravel (Sonatine, Pavane) et assurément l’étude de tels maîtres m’a bien préparé à des entreprises plus ambitieuses. Quand j’ai commencé ma recherche pour réintroduire la musique de Malipiero, j’ai éprouvé, pour ainsi dire, un conflit d’intérêts. La musique du jeune Malipiero, en particulier, est très impressionniste (en effet, il semble parfois tirer son inspiration pianistique directement de Claude Debussy, à qui il a même consacré un hommage musical), et il n’y avait aucune logique en jouant par exemple son Preludi Autunnali à côté de Debussy. De même, Casella’ A Notte Alta est de façon idiomatique semblable au Ravelde Gaspard de la nuit et de Miroirs, et leur coexistence dans un programme de concert aurait comme conséquence d’entendre le même langage. Tant donné mon inclination vers la musique oubliée, mon choix était clair : J’ai joué les Italiens plutôt que les Français ! Néanmoins, je suis fanatique des œuvres de la maturité deFranck (je joue les deux merveilleux tryptiques , le prélude, choral et fugue et le prélude, l’aria et finale), un certain Saint-Saëns (j’aime son quatrième concerto pour piano, mais n’ai jamais eu la chance de l’exécuter), et une suite de Pièces de Lully dont j’ai ‘hérité’ de Shura Cherkassky.
TV : Vous aviez joué de la musique de piano du vingtième siècle (Malipiero, Petrassi…), mais quid « de la musique contemporaine » (Stockhausen, Boulez… etc.) ? SIB : En voilà une question embarrassante… Au cours des années j’ai joué beaucoup la musique contemporaine, mais j’ai souvent le sentiment que c’est un domaine spécialisé. J’avais l’habitude de jouer les Klavierstücke 5 & 9 de Stockhausen, des pièces de Sciarrino, Scelsi, ainsi que de compositeurs britanniques modernes comme Chapple et Ferneyhough. Le mois dernier, j’ai donné le première mondiale de deux petites pièces du compositeur hollandais Erik Lotichius, dont le premier concert de piano que j’ai enregistré l’année dernière en Russie, mais il ne compte pas : d’il est un maître de contrepoint, il n’emploie les dissonances que très économiquement. Le morceau d’avant-garde le plus récent que j’ai joué était la Sonata de Berio en 2004, et je ne l’ai pas apprécié beaucoup. Il est important, je pense, de rester en contact le domaine de la création, et quand j’en ai l’opportunité, j’aime jouer la nouvelle musique. Il y a une atmosphère particulière chaque fois qu’une œuvre nouvelle est créée, et quand la musique est bonne il est même possible de trouver la beauté dans la laideur. Finalement, c’est jusqu’à nous les interprètes de faire le meilleur avec de ce que nous devons travailler ! TV : Pourriez-vous nous faire part de vos réflexion à propos de la vie musicale en Italie – à laquelle vous participez beaucoup- en ces temps difficiles économiquement et politiquement ? SIB : SIB : Revenir en Italie après environ vingt années en Angleterre a été la plus grande erreur de ma vie. La politique et les politiciens ont infiltré chaque aspect de la société, musique incluse, et l’Italie culturellement parlant a énormément régressé. Il y a de belles réalisations, des musiciens honnêtes et doués qui ajoutent considérablement à la scène musicale, mais je crains que l’Italie soit bien en retrait derrière la majeure partie de l’Europe. Nous avons plus de théâtres historiques que le reste du monde, mais nous faisons la musique très peu de musique en leur sein ! Avec mes faibles moyens, j’essaye de faire une différence, mais je ne suis associé à aucune faction politique, il est donc difficile d’aller bien loin, c’est très triste. TV : Pourriez vous nous parler de vos inspirations : pianistes du passé ou vivants, chefs d’orchestre, artistes… SIB : Pianistiquement, mon guide reste Shura Cherkassky. Son son, sa vision, sa capacité vertigineuse pour mener une phrase musicale sont uniques. D’autres que j’admire énormément sont Wilhelm Kempff, Gyorgy Cziffra et Arturo Benedetti Michelangeli. Pour les géants vivants, je suis fanatique d’Ivo Pogorelich et de Vladimir Ashkenazy. Pour la plus jeune génération, je pense que Roberto Prosseda est un poète et Francesco Libetta un virtuose incroyable, dans la lignée de Volodos et Hamelin. Je ne pense pas beaucoup aux phénomènes du moment, qui tendent à être plutôt éphémères. J’aime les individualistes, les gens qui ajoutent une ‘nuance personnelle’, comme Busoni le disait, à tout qu’ils jouent. La musique doit être agréable tout d’abord, aventurière, mais non pédante. Mon rapport avec les chefs d’orchestre a été plutôt rugueux. Souvent, tout en voyageant, je dois travailler avec des personnes qui toutes sont préoccupées par leur symphonie, et peu pour le concerto de piano. C’est erroné, naturellement, mais il n’y a aucun traitement pour la vanité de certains. Quand les choses fonctionnent bien, un lien musical fort peut se former et les résultats sont souvent merveilleux. Chaque année je travaille avec Peter Stangel, à Munich, il est l’un des rares qui comprenne le concept de donner un son de concert en accord avec son soliste. Au cours des années, j’ai fait du bon travail avec Michele Carulli, et aussi Nicolae Moldoveanu. TV : Pour finir, vous avez fait plusieurs enregistrements, particulièrement pour le label Brilliant classics. Pouvez-vous nous parler de ces collaborations et comment prévoyez-vous le futur de la diffusion de musique ? SIB : Enregistrer des disques est aussi important que de jouer en public, mais beaucoup plus stressant. Ce qui va sur un CD est là pour toujours, sans la possibilité de modification ! Ma discographie reflète ma passion pour le répertoire italien comme ma fascination avec la musique complexe, et j’ai été chanceux d’avoir eu l’occasion d’enregistrer tant de musique. Au cours des années j’ai eu du mal à trouver des partenaires compétents dans le studio d’enregistrement. Enregistrer est un processus fatiguant, et il est fondamental que le pianiste fasse complètement confiance au producteur. Comme avec des chefs d’orchestre, un grand disque devrait provenir de la vision combinée du soliste et du producteur, il devrait y a un élément d’interaction entre les deux, car l’interprète fatiguera inévitablement dehors et peut facilement perdre de vue sa vision originelle. Heureusement, mon chemin a croisé celui d’Alessandro Simonetto, un jeune Italien avec une oreille infaillible, un sens musical remarquable et une compétence technique extrême. Ma dernière aventure a été l’enregistrement des transcriptions complètes de Bach-Busoni avec lui, une entreprise énorme que j’espère nous avons fait avec imagination et intégrité. Je suis convaincu que le CD ne mourra pas. Les expériences récentes dans le domaine de la diffusion de musique ont prouvé que le public classique ne prise pas tant que cela les téléchargements sur PC… La musique est toujours une recherche très personnelle, que ce soit pour l’écrire, la jouer, ou l’écouter elle, et il est bien de tenir en main un objet tangible… La question qui suit, un peu osée, était supposée « off », mais Sandro Ivo Bartoli a souhaité la voir publiée. TV : J’ai rencontré un pianiste français, Pascal Amoyel, qui est un ami maintenant, que je trouve extraordinaire, autant que vous-même, même si je n’avais pas eu la chance de vous écouter en concert. Comme vous, il a fait des enregistrements souvent primés, donné de nombreux concerts dans toute l’Europe, mais pourtant n’est pas invité par les plus grands orchestres ou dans les plus grandes salles de concert – et je suis sûr que lui ou vous pourrait donner au moins la même réalisation musicale que les stars actuelles du piano. Est-ce un choix, une question de directeur artistique ? Je n’ai jamais directement demandé à Pascal, mais la distance entre nous me donne le courage de vous poser la question… SIB : On ne peut nier que le business de la musique s’est fortement dégradé dans les dernières décennies. La fabrication des superstars est devenue une occurrence presque journalière, et de gens vont aux concerts et achètent des enregistrements. Il serait intéressant de savoir combien parmi les récentes ‘découvertes’ (de jeunes, jolis, et capables musiciens qui ont été lancés en grande pompe par les compagnies) sont encore en activité et à quel niveau. Le même principe s’applique aux gagnants de concours : il y a beaucoup de buzz au sujet des plus récents vainqueurs, ils vont partout dans le monde jouer la même chose et disparaissent alors presque invariablement. On n’a pas besoin d’être un génie pour comprendre que c’est erroné, mais qu’elle est la solution ? Récemment, un manager italien m’a dit que j’étais ‘trop vieux’ pour son équipe. J’ai 43 ans, dans la force de l’âge, et mûrirai si tout va bien raisonnablement pour être en mesure d’offrir une lecture approfondie de ce que je joue. L’âge ne devrait pas entrer dans l’évaluation d’un musicien (si une chose est sûre, c’est que quelqu’un de plus âgé développe plus de perspicacité dans son métier !). Hélas, cela existe, et c’est symptomatique de l’érosion de l’éthique à laquelle nous devons faire face. Finalement, je crois qu’il n’y a aucun substitut au travail dur et à l’expérience. Je crois que tôt ou tard ‘l’industrie’ de la musique se rendra compte qu’un concert n’est pas une exposition de mode, que le look est important mais le charisme encore plus, et que la musique doit comprendre un élément de risque, de surprise, afin de communiquer le plus grand éventail d’émotions et d’impressions. Les gens m’appellent un artiste, mais je vis et travaille davantage en tant qu’artisan, exerçant mon métier aussi bien que je je le peux, sans penser de trop au futur ou à la politique de la musique. Parfois Lui, du Parnasse, descend sur la Terre et guide nos mains, transformant le travail dur et honnête des artisans en œuvre d’art. Et c’est ce qui fait que ça vaut le coup, sans regarder en arrière. |

