Rencontre avec le violoncelliste Benedict Kloeckner

J’étais invité récemment à un concert privé donné par le violoncelliste Benedict Kloeckner (photo) avec l’excellente pianiste Anna Fedorova) et je lui ai aussitôt proposé une interview au cours d’un déjeuner.
Ce violoncelliste allemand de 35 ans vit désormais à Paris avec son épouse française, violoniste.
Il fait d’ores et déjà partie des grands solistes internationaux ; quand je lui ai demandé s’il n’était pas un peu téméraire de sa part de s’installer dans notre pays devenu un « réservoir » de violoncellistes de niveau mondial : « Du tout ! c’est l’occasion de les écouter et de découvrir d’autres univers musicaux et instrumentaux ».

Famille

« Je suis marié avec la violoniste Clémence de Forceville, premier violon solo de l’Orchestre de chambre de Lausanne.
Mon père a beaucoup pratiqué la musique – piano et violon, a pris des cours avec des grands professeurs, mais il a finalement embrassé la carrière d’avocat : personne n’est parfait !
J’ai commencé le piano à six ans et le violoncelle à neuf. Mon père jouait souvent en trio et j’étais chargé de tourner les pages pour le pianiste. J’étais fasciné par le son du violoncelle et commençai à demander à mes parents de prendre des cours de cet instrument, vers 6 ou 7 ans. Mes parents insistaient sur le fait qu’il y avait un piano à la maison et qu’il serait plus simple de continuer à le pratiquer. Mais au bout de deux ans, j’ai fini par avoir gain de cause ! et j’ai tout de suite été pris par le son de cet instrument, même si ce n’était qu’un instrument d’étude d’origine asiatique je crois.

Études

J’ai commencé à étudier avec un jeune violoncelliste qui jouait avec mon père, puis je suis allé à l’université avec un professeur qui avait lui-même étudié avec Navarra et qui m’a appris les bases de l’instrument.
Je suis ensuite allé à l’Université de Kronberg, près de Francfort – une université spéciale : on n’était que douze étudiants dans la classe de violoncelle, mais avec d’excellents éléments comme par exemple Edgard Moreau, Pablo Ferrández ou Kian Soltani – on avait des cours de violoncelle avec Frans Helmerson, Gary Hoffman mais aussi avec des artistes d’autres univers : Simon Rattle, Daniel Barenboïm, Christoph Eschenbach, András Schiff, Gidon Kremer, Iouri Bashmet etc. On avait à disposition un studio affreusement sec où chaque étudiant devait se produire devant les autres : c’était aussi difficile que formateur.
C’est Mstislav Rostropovitch qui a été appelé au début et a contribué à créer un important festival de musique, puis une académie destinée initialement à l’enseignement exclusif du violoncelle. L’Académie Kronberg est devenue une importante institution musicale, avec une salle de concerts « Pablo Casals » d’environ 800 places et l’Orchestre de Chambre de l’Europe en tant qu’orchestre en résidence.
J’ai passé sept années à Kronberg ; je suis entré dans la vie musicale professionnelle grâce à Michael Sanderling, violoncelliste et chef d’orchestre, un des fils de Kurt Sanderling, actuellement chef d’orchestre à Lucerne. J’avais suivi une de ses master classes à la suite de laquelle il m’avait dit : « on se voit sur scène ». Un peu dubitatif, je reçois une semaine plus tard un mail de son agent pour donner avec lui le concerto de Dvořák à Berlin !

Instrument

Le violoncelle est un instrument bien sûr exigeant, qui nécessite une connexion presque instantanée entre l’oreille et la position de l’archet, le geste pour avoir une intonation juste. Vous évoquez le problème de la projection sonore : c’est essentiel, notamment car l’instrument émet plus dans le bas medium qu’un violon par exemple. Je suis allé écouter récemment au concert Steven Isserlis et Truls Mørk, deux violoncellistes magnifiques mais aux techniques très différentes – le premier est très élégant et sophistiqué mais a moins de projection que le second, qui est plus ‘dans la corde’. C’est notamment important pour le concerto de Dvořák (Benedict Kloeckner vient de faire paraître un double CD consacré aux œuvres pour violoncelle de Dvořák dont ce concerto) : lors de la première de l’œuvre en 1896, un journaliste notait que l’on entendait mal le violoncelle dans cette œuvre. Le problème est que c’est très bien écrit, les vents doivent ainsi jouer piano ou Mezzo forte quand le soliste joue ; il faut juste avoir des bons souffleurs dans l’orchestre et un bon chef d’orchestre – Cristian Măcelaru a très bien réalisé la balance dans l’enregistrement qui vient de sortir. J’ai toujours une relation un peu ambivalente avec l’enregistrement : si je l’écoute peu de temps après, je déteste ; avec le temps, je le supporte mieux !

Je joue un violoncelle du luthier Francesco Rugeri, instrument que Maurice Gendron a joué très longtemps. Cette année, j’aurais donné environ 80 concerts, notamment en concerto mais je consacre beaucoup de temps à la musique de chambre, il faut dire que l’on est invité à jouer toujours les mêmes concertos romantiques. Vous me dites que la 2e école de Vienne a très peu écrit pour mon instrument et c’est vrai. Schoenberg a écrit tout de même un concerto pour violoncelle d’après Georg Matthias Monn – œuvre que je suis d’ailleurs en train de travailler ; il aimait beaucoup le peu connu concerto de Karl Weigl (1934 – Weigl avait été le pianiste répétiteur de Mahler et avait organisé des concerts avec A. Schoenberg et B. Walter).

Répertoire

Il commence avec Bach, même si j’ai envie de travailler des œuvres « d’avant Bach », mais Bach est un tel génie ! Sinon mon répertoire va jusqu’à la musique contemporaine, dans à peu près tous les styles. Vous me parler de la difficulté de la Sonate pour violoncelle seul de Kodaly, qui est bien sûr une pièce très difficile. Il y a une anecdote à son propos : un étudiant l’avait travaillée pendant environ six mois et la joua à Budapest devant le compositeur –  à la fin ,il remerciait Kodaly pour sa venue et lui : « non, non, de rien … puis-je juste vous demander une faveur ? Ne jouez plus jamais cette pièce ! » C’est une pièce que je joue avec grand plaisir, en squadratura ce qui donne presque des sonorités de contrebasse par moments.
C’est votre ami le compositeur Éric Tanguy qui le premier m’a invité à joué en France, à Radio France d’ailleurs ; il a écrit une magnifique pièce pour violoncelle solo pour moi. C’est un compositeur que l’on reconnaît dès les premières mesures d’une œuvre. Pour les compositeurs actuels, j’ai joué aussi du Nicolas Bacri et j’apprécie beaucoup la musique de Dai Fujikura. J’ai adoré jouer son concerto pour violoncelle à Salzbourg ; il a aussi écrit pour moi une bonne pièce inspirée par les suites de Bach (jouer l’intégrale des Suites de Bach c’est très long, aussi j’ai commandé des pièces à six compositeurs que je viens intercaler dans les programmes). Il va aussi écrire une pièce pour violoncelle et piano pour moi et un pianiste japonais. J’ai aussi beaucoup travaillé avec Wolfgang Rihm.
C’est d’ailleurs parfois plus facile pour les interprètes de trouver de l’argent que pour les compositeurs eux-mêmes, même si cela devient de plus en plus difficile.

Projets

J’enregistre le concerto d’Elgar qui sortira en 2015 ; le mois prochain j’enregistre un disque dédié à Arvo Pärt avec des œuvres minimalistes ou mystiques, certaines écrites pour l’album. Ce sont des musiques assez simples, mais qui plaisent beaucoup aux maisons de disque qui sont intéressées par ce type de musique pour les intégrer dans des playlists populaires. Le problème, c’est qu’avec les plateformes de streaming, une chanson pop de 2’30 » est payée le même prix qu’un mouvement d’une symphonie de Mahler de 25′. J’ai la chance d’avoir un éditeur de disques qui paye encore pour les productions, mais ça devient rare – Pour mon récent album Dvořák, ce sera sûrement « Silent woods » qui financera le tout…
Récemment, j’ai participé à un enregistrement pour un éditeur qui s’est contenté de financer les photos d’illustration : la production était financée par une radio et si je voulais un CD supplémentaire pour mon usage personnel, je devais débourser 12 € de ma poche ! On va dire que les éditeurs d’enregistrements de musique classique ont trouvé le moyen de survivre, mais c’est parfois sur le dos des artistes.
Pour l’instant, il est difficile de publier un enregistrement sans avoir en parallèle une version physique sur CD : sinon, les journalistes ne sont pas intéressés ; mais à mon avis dans cinq ou dix ans ce ne sera plus le cas.
Devenir chef d’orchestre ? Si cela devait se faire, j’ai encore beaucoup à apprendre !
Je m’occupe également de notre festival de musique de Coblence, IMUKO.  En fait, notre festival s’appelait International Festival music Koblenz, mais on s’est aperçu qu’il en existait déjà un avec presque le même nom, d’où le choix de cet acronyme, qui comme vous dites sonne un peu japonais ! On en est maintenant à la onzième édition, la prochaine s’étendra sur quasiment toute l’année.

Panthéon

Mes violoncellistes préférés ? J’aime beaucoup l’école russe comme Shafran, Rostropovitch mais aussi l’école française avec par exemple Navarra, Fournier ou Gendron.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.