(Pour poursuivre ma série d’interviews de mes pianistes françaises préférées).
J’avais déjà écouté Naïri Badal et Adélaïde Panaget lors d’un spectacle en 2016 et avais été enchanté par un de leur dernier disque « Sorcières » ; après avoir entendu ce programme qu’elles donnaient en récital, je leur ai proposé cette interview.
Débuts
Ce qui nous a motivées pour la création de ce duo, c’est avant tout le plaisir d’être ensemble et de jouer ensemble. Nous avons passé ensemble le master de musique de chambre que nous passions dans le format piano à quatre mains, dans la classe de Claire Désert. On avait voulu passer un concours de piano à quatre mains, doté d’un 1er prix de 10 000 € ! On est arrivées en finale, mais malheureusement, le 1er prix n’a pas été décerné… Mais on a ainsi engrangé beaucoup de répertoire et on a pris le nom de Játékok (« jeux » en hongrois) car on devait présenter une pièce contemporaine et Claire Désert nous avait conseillé la pièce éponyme de György Kurtág.
Nous sommes ensuite parties toutes les deux en Erasmus et à notre retour, on s’est présentées à des concours et on en a remporté un certain nombre, des opportunités se sont offertes à nous et comme on s’entendait toujours bien et que l’on aimait le répertoire, on s’est lancées. On ne l’a pas vraiment conscientisé ça s’est fait comme ça, de fil en aiguille.
Pratique musicale
On est à la fois un duo de piano à quatre mains et un duo à deux pianos Le répertoire est plus ou moins dédié ; une chose est sûre c’est que jouer une pièce pour deux pianos sur un seul piano à quatre mains c’est quasiment infaisable, par contre l’inverse peut-être très intéressant. Certaines pièces qui ont été transcrites par leur auteur comme la Rhapsodie espagnole, le Sacre du Printemps ou Petrouchka sonnent en fait bien dans les deux configurations. Par contre, la Une nuit sur le Mont Chauve est vraiment écrite pour piano à quatre mains et ne sonne pas bien à deux pianos.
Gérer la pédale à deux pianos est beaucoup plus simple que la gérer sur un piano à quatre mains. D’autre part, quand nous jouons à quatre mains, on a une énergie qui est en quelque sorte commune ce qui est plus difficile à réaliser avec deux pianos, mais dans cette dernière configuration, on a plus d’expression et une palette sonore plus large.
On est tout à tour prima ou seconda ; difficile de dire laquelle est la meilleure à l’un des postes : il faudrait nous écouter dans les deux configurations et dans de nombreuses pièces pour avoir peut-être une idée ! Il est vrai qu’il y a parfois certaines écritures qui vont mieux à l’une qu’à l’autre.
Nous aimons jouer des œuvres pour piano seul, mais pour soi : on n’a pas l’idée de jouer seule sur scène. Pour le travail, on arrive à s’organiser : l’une est à Nîmes et jongle avec l’emploi du temps de son mari pour gérer ses deux filles, l’autre est dans l’Oise. Après avoir travaillé leurs parties de piano respectives, elles de retrouvent pour travailler deux ou trois heures toutes les deux semaines environ.
Répertoire
On est assez fin XIX et XXe siècle, même si on joue aussi du Bach ou du Mozart, beaucoup de musique française : Debussy ou Ravel, du Stravinsky, mais aussi Gershwin, Bernstein, Poulenc. Cependant, nous ne sommes pas si spécialisées que cela : nous explorons également Brahms, Mendelssohn, etc. Mais il y bien d’autres œuvres à découvrir et travailler, comme les suites de Rachmaninov.
Il y a longtemps que l’on n’a pas donné la sonate de Bartók ; c’est une œuvre difficile à monter : trouver l’endroit pour répéter, louer deux pianos, et cela reste encore une œuvre d’un abord difficile pour certains publics. Mais, par exemple, le Conservatoire Rachmaninov de Paris où nous avons donné récemment un récital disposait, lui, de deux pianos à queue. Il faut comprendre que nous vivons du concert et on est bien obligées de se plier aux souhaits des organisateurs de concerts ou aux publics.
Références de duos de pianistes
Pour nous c’est les Labèque : deux femmes, deux françaises toujours dans l’air du temps toujours en train d’imaginer de nouveaux projets, s’entourant de personnes intéressantes.
Notre deuxième disque était un hommage au duo américain formé par Arthur Gold et Robert Fizdale, duo très original. On est attirées par l’originalité ; le duo de piano est déjà quelque chose d’un peu atypique et on ne souhaite pas l’enfermer dans une sorte de routine. On peut plus facilement se libérer de la tradition que dans le cadre du piano solo.
Concerts et projets
Nous donnons une trentaine de concerts par an, aidées en cela par une agence pour la France. On joue assez peu à l’étranger. Nous avons enseigné pendant une période, mais faute de temps, on se contente de donner quelques masterclasses.
On travaille plus sur des concerts que sur des enregistrements en ce moment – notre prochain CD, ce sera pour dans deux, trois ans ; on y réfléchit.
Nous avons divers projets scéniques. On avait donné “Muse” à Limoges, spectacle qui mêle hip-hop et piano classique et qui a eu beaucoup de succès. Ce spectacle a beaucoup plu au directeur de l’Opéra de Limoges car on pense qu’il correspondait à sa façon d’établir une programmation. Nous sommes donc associées à l’opéra de Limoges de 2023 à 2027. C’est une sorte de compagnonnage artistique, il nous invite une ou deux fois par saison et nous sommes toujours ravies de retrouver le public de l’Opéra de Limoges.
Notre projet Sorcellerie a deux facettes – l’une en est le programme que l’on a enregistré récemment, l’autre un spectacle avec des magiciens. Ce spectacle est proposé plutôt dans les théâtres, compte tenu du matériel et des jeux de lumière nécessaires.
On a également un spectacle créé il y a 3 ans environ et qui va encore beaucoup tourner, programme d’un précédent CD : le Carnaval des animaux avec Alex Vizorek, spectacle donc humoristiques où d’autres partitions viennent se mêler à celle de Saint-Saëns.
Un autre futur projet qui sera créé en octobre 2026 avec le groupe de métal Rammstein proposera des musiques répétitives américaines : Glass, Adams, Monk… Ce projet tournera également dans des lieux un peu hybrides ou alternatifs.
On a également un projet “Les Liaisons dangereuses” avec une chanteuse bulgare : la création d’un mono-opéra qui a été écrit pour deux pianos et une soprano ; elle est prévue pour le printemps 2027.
On a un récital prochainement à la Philharmonie autour des femmes compositrices et des projets autour de concertos pour deux pianos. On a déjà eu l’occasion de travailler avec des compositeurs, comme Baptiste Trotignon et on pense passer une commande d’un concerto pour deux pianos.