Ravel par Hélène Tysman
Le label Karthe, géré par des musiciens, se consacre tant au jazz qu’au classique et a la bonne idée d’enregistrer d’excellents musiciens, comme ici Hélène Tysman ou bien Guillaume Martigné par exemple.
Avant-hier, le label organisait un concert-promotion de cet album et d’un autre (papier à suivre) consacré à Alberto Ginastera pour son centenaire (1916-1983), très bel événement donné Salle Cortot.
Cet CD consacré à Ravel s’intitule donc « Des antiques aux démons », on a envie d’écrire désantikodémon… au programme presque chronologique (Pavane) :
Menuet Antique (1895) Gaspard de la nuit (1908) Menuet sur le nom de Haydn (1909) Valses nobles et sentimentales(1911) Pavane pour une infante défunte (1899) La Valse (1920)
[Avant-hier, Hélène Tysman donnait Laideronnette et Jardin féérique avec l’excellent pianiste Romain David. Que voilà une bonne idée de CD. Si le 1er était un peu rapide, quelle qualité de timbre et de caractérisation, et le 2nd, qui gagnerait à être encore plus onirique, était également magnifique.]
J’avais été impressionné par le grand son et le côté presque expressionniste qu’elle avait donné à quelques Préludes de Debussy lors d’un récital voix-piano il y a quelques mois. Je m’attendais donc à du Ravel « grand format ». Wrong again. Non pas que son Ravel soit « petit », mais il montre des qualités rares de ciselé, de timbres, d’articulations et surtout de poésie.
Rapidement, mais il y a tant de belle choses à écouter et réécouter : Un Menuet antique superbe de délié, de couleurs, de style. D’emblée frappent sa compréhension de la partition, l’étendue de sa palette sonore. Ondine est merveilleux de « liquidité », on y admire à la fois la conduite de la ligne, le contrôle de la dynamique et l’enchantement des sonorités. Cela donnerait presque de l’élégance à la frappe de mes doigts sur l’ordi… Suit un très beau Gibet auquel il manque peut-être un je ne sais quoi de respiration et plus de graves pour être plus glaçant, mais encore une fois que de belles sonorités. Idem pour Scarbo, aux sonorités hispanisantes que l’on entend rarement.
Le Menuet antique passe comme un rêve. Hélène Tysman dans le livret : « […] il n’y a rien de plus difficile à apprendre que les pages de Ravel. Chaque note, chaque mesure, a priori simples, se révèlent chaque fois d’une complexité inouïe, dignes des mécanismes d’horloge les plus sophistiqués, le tout sonnant au final comme le jouet d’un enfant ». Elle réussit pourtant fort bien dans les Valses nobles et sentimentales, écoutez la dernière, merveilleuse d’éclats oniriques. Hiatus avec la Pavane qui aurait vraiment dû être placée avant le Menuet antique, mais donnée avec une si belle allure et une prenante nostalgie. Dès le début de La valse, on sent bien que « l’on danse sur un volcan » : les tournures virevoltantes de la pianiste y sont toujours pleines de sous-entendus ; on l’a entendu parfois plus survoltée, mais rarement donnée avec autant de clarté et d’évidence.
Une grande artiste et un grand disque (bien enregistré).
Petit billet d’humeur : Christine Jolivet-Erlih me prédisait ceci : « « A part Poulenc, tous les compositeurs du XXe siècle ont connu un certain purgatoire ; celui de Messiaen semble avoir commencé et celui de Boulez viendra probablement de ce grand mouvement de balancier « antiboulézien » amorcé, il y a quelques années, et soutenu par quelques compositeurs tels Connesson, Beffa, et autres aux commandes… ». Il semble que via Boulez, on commence même à assister à un anti-debussysme : Pourquoi évoquer comme le fait François Meïmoun dans le livret du CD les supposés méfaits d’un Boulez vis-à-vis de la musique de Ravel qu’il aurait cantonnée à un certain hédonisme – « l’héritage de Ravel a été floué au profit de Debussy » (Pierre-André Valade, chef au répertoire très conservateur comme l’on sait, me disait préférer diriger Ravel à Debussy).
Quant à mon ami Norman Lebrecht, il vient de publier « Done With Debussy » où il écrit : « My dislike of Debussy — more pronounced than of any other important composer — is as much analytical as it is aesthetic. His denial of meaning is the antithesis of Frankl’s search for meaning, a complacency so far removed from my view of the world that I can do nothing but acknowledge it and move on. Pure music, which begins with Debussy, infects the modernist mainstream to the point where it becomes impermissible to express any message in music. You had only to hear Boulez denounce Shostakovich as “reactionary” to understand how effectively Debussy sanitised music of the possibility of meaning. » Je préfère personnellement écouter Claude ou Pierre que Dimitri…
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