Je n’ai malheureusement jamais vu le chef d’orchestre Daniel Kawka diriger ; j’avais juste commis un papier en 2015 qui me valut bien des critiques : j’y préférais l’enregistrement des concertos de Ravel par Vincent Larderet / Daniel Kawka à celui de Yuja Wang / Lionel Bringuier parus au même moment…
Il s’agit d’un livre d’entretiens, principalement avec Daniel Kawka, qui retrace des expériences musicales avec le désormais défunt orchestre « Ose ! » : une formation symphonique fonctionnant dans l’esprit de la musique de chambre. L’ouvrage est ainsi émaillé de témoignages de musiciens de l’orchestre.
Ce que cherche Daniel Kawka, c’est la transcendance, la beauté, la poésie, la vérité de l’œuvre. Celibidache disait l’avoir atteinte très rarement ; Kubelík, moins gourou, disait volontiers qu’aucun des milliers de concerts qu’il avait dirigés ne l’avait pleinement satisfait…
Tous les musiciens que j’ai pu interroger pour mon blog m’ont déclaré que ce qu’ils recherchaient dans leurs concerts, c’est l’instant magique où « il se passe quelque chose ». Charme fragile – je me rappelle d’un récital de piano où tout fonctionnait, avec une intense concentration du public, puis abordant une nouvelle œuvre, rien ne va plus, le pianiste n’y est plus, le public s’agite, c’est fini (ce qui me fait penser à ce grand moment de solitude lors d’un récital d’un pianiste / dactylo virtuose qui remporta un immense succès devant une salle comble… alors qu’il n’y avait pas une minute de musique).
Daniel Kawka a fondé en 1992 l’Ensemble Orchestral Contemporain (Pierre Boulez l’avait incité à créer Dérive II car il lui trouvait « une forme de transcendance dans la restitution sonore des œuvres »).
Il insiste sur l’importance de travailler les battues, surprenant Boulez les répétant dans un coin – je pense à un certain chef qui dirigeait chez lui devant une glace.
Daniel Kawka se plaint de se voir imposer des programmations classiques de type « ouverture, concerto, symphonie ». Là encore, à combien de concerts a-t-on pu assister où chef, orchestre et soliste cachetonnent… ? Les programmations cherchant à mettre en valeur des liens entre des œuvres de compositeurs différents sont difficiles, souvent pour des questions de différences d’effectifs ou de distribution. Daniel Kawka en a créé de nombreux ; par exemple Ravel et Schmidt (vidéo) ou un concerto de Paganini couplé à la Rhapsodie de Rachmaninov, etc. (Un des précurseurs dans ce domaine était Kubelík à la Radio bavaroise dans les années 60 et 70).
Il met également en question le nombre très limité de services de répétition, restreignant ainsi le spectre des esthétiques des œuvres de musique contemporaine. Tant à la tête de l’EOC, qu’à celle d’Ose ! ou au sein du projet Léman Lyriques Festival, il se battait pour avoir un nombre de services suffisant. Parlant de l’excellence des prestations des orchestres anglo-saxons qui se contentent de deux services : « le remarquable conduit-il à l’ineffable ? » Quant au lyrique, il est fort surpris de voir que les chanteurs ne consultent pas la partition d’orchestre pour travailler leur rôle ou que les musiciens ne sortent que rarement de la fosse pour voir la mise en scène et l’emplacement des chanteurs.
Un témoignage aussi important que passionnant.
Ose ! Une poétique de l’orchestre – Daniel Kawka – Thierry Kawka – David Christoffel – EST Samuel Tastet Éditeur – 2025 – 20€ – 222 p.