Parution de quatre beaux disques de musiques des XX et XXIe siècles.
Patricia Kopatchinskaia – Reto Bieri – Polina Leschenko
J’avais accueilli avec chaleur, malgré la lecture de réactions de critiques outrés, un précédent CD de la violoniste Patricia Kopatchinskaia en 2018, avec d’ailleurs déjà du Poulenc et la pianiste Polina Leschenko : « Peut-être pas pour tous les goûts, mais passionnant et souvent fulgurant ».
Ici, pas d’outrance, mais un régal de musiques passionnantes et interprétées avec tant de talent et d’engagement.
Au programme de ce nouveau CD (dont le titre fait évidemment penser au « Take five » de Dave Brubeck – ici on ne sait si l’enregistrement a fait l’objet de 3 prises…) : L’invitation au château, la Sonate pour clarinette et une Bagatelle pour violon et piano de Francis Poulenc, le Trio pour clarinette, violon et piano de Paul Schoenfield ainsi que Burlesque et Contrastes de Béla Bartók.
L’invitation au château est une musique de scène, souvent dans le genre salon avec pointe d’ironie dont six extraits parsèment le CD : Mouvement de valse-hésitation, Tempo di boston, Follement vif et gai, tempo di Tarentella, Très vite et très canaille et Tango.
Je ne connaissais pas Paul Schhoenfield, compositeur américain (1947*) – son trio est très vivant, virevoltant sauf dans son rêveur troisème mouvement, une musique très inventive, avec parfois des accents klezmer. Les deux autres principales pièces du programme sont la Sonate pour clarinette de Poulenc qui permet d’apprécier les magnifiques sonorité du clarinettiste Reto Bieri et les Contrastes de Bartók – Dans ceux-ci (1938) on sait que louer le plus : l’engagement, la sonorité, l’entente des interprètes : un bonheur.
Un superbe CD Alpha Classics.
Piotr Anderszewski
C’est un pianiste à la réputation a la fois de grande exigence d’exécution et de lenteur dans la maturation de certaines œuvres du répertoire. Les pièces réunies ici ont pour point commun d’être d’origine d’Europe centrale, d’être brèves et d’avoir été écrites dans la première partie du XXe siècle : le deuxième cahier de Sur un sentier broussailleux de Janáček (-1911), Mazurkas de son compatriote Szymanowski (-1926) et les Bagatelles de Bartók (-1908).
Pour Janáček, difficile de ne pas comparer avec l’intégrale de Firkušný (DG avec Kubelík). Celle-ci paraît inaccessible avec tant de caractérisation et de poésie. Piotr Anderszewski est en général nettement plus lent, ce qui nuit à mon avis à cette musique. Malgré ce manque d’évidence rythmique, on appréciera néanmoins les grandes qualités de l’interprétation : qualité du toucher, couleurs et gestion des dynamiques.
Ses qualités se retrouvent bien sûr dans six mazurkas de l’op.50 de Szymanowski, pièces pas forcément très dansantes, mais d’un constante invention. Elles rejoignent celles de la pianiste Anna Kijanowska (opp. 50 & 62).
Le programme s’achève avec les 14 Bagatelles op.6 de Bartók. L’interprétation est superbe techniquement, plus moderne et un peu plus froide que celle d’un Gyorgy Sandor par exemple.
Un très beau disque de piano paru chez Warner.
Alas – Orchestre de Lutetia
Ce disque est consacré à la musique argentine. Il réunit les Variations concertantes d’Alberto Ginastera (1916-1983) et trois œuvres de compositeurs argentins contemporains : Gerardo di Giusto (1961*), Gabriel Sivak (1979*) et Alejandro Iglesias Rossi (1960*).
Les Variations concertantes (1953) de Ginastera (15 mouvements) sont originales, chaque variation faisant intervenir en soliste un instrument différent de l’orchestre. Le thème initial est introduit par la harpe et violoncelle (l’excellent Patrick Langot, soliste des trois pièces contemporaines). Mâtinée de réminiscences folkloriques, elle propose des ambiances orchestrales à la sonorité très américaine. On joue trop peu la musique de Ginastera – ces magnifiques variations devraient portant inspirer des chefs soucieux de mettre en valeur les solistes de l’orchestre.
Les trois autres œuvres proposées utilisent donc le violoncelle en soliste. Alas (Les ailes) de Gerardo di Giusto est une fantaisie pour violon, violoncelle et orchestre, d’un langage relativement traditionnel avec des rythmes simples mais prenants.
J’ai déjà parlé de Descaminos de Gabriel Sivak pour une anthologie qui comportait également cet enregistrement. On a retrouvé les ambiances de cette œuvre très construite avec bonheur (cf. ci-dessous).
Llorando silencios (« Des silences qui pleurent ») de Alejandro Iglesias Rossi est pour violoncelle seul. C’est une musique très originale, faisant référence aux temps précolombiens et aux instruments traditionnels.
Un très beau disque Evidence Classics.
Quatuor Gerhard – Ramon Humet
Ce CD propose le quatuor de Dabussy et « I fa l’aire visible » du compositeur Ramon Humet.
Le Debussy est joué avec finesse et détails, un peu placide peut-être. L’intérêt du CD repose sur l’interprétation de l’œuvre pour quatuor à cordes du compositeur espagnol Ramon Humet (1968*). Basée sur la lumière et l’obscur, cette œuvre est d’ailleurs destinée à être jouée dans le noir. Parfois microtonale, elle propose des délicatesses extrêmes de sonorités, des atmosphères souvent raréfiées et envoûtantes.
À noter que le compositeur fut très encouragé par le regretté Jonathan Harvey.
Un disque Klarthe.