Un privilège d’interviewer le célèbre clarinettiste Michel Lethiec, dans le cadre de sa Direction artistique du Festival Pablo Casals de Prades qui se tiendra du 25 juillet au 13 août prochain (Programme).
Histoire
ML : Cela fait maintenant un peu plus de trente ans que je m’occupe du Festival Pablo Casals de Prades. À la mort de Casals (1973), il n’était plus présent au Festival de Prades depuis longtemps, s’étant retiré à Porto Rico ; il a quitté son habitation à Prades en 1955, mais a continué à s’occuper de son Festival jusqu’en 1966. En 1968, il a émis le souhait que le festival continue, même en son absence. Le maire de Prades de l’époque était très cultivé et a souhaité cette poursuite du festival. À l’époque j’étais surpris qu’il n’y ait pas d’Académie de musique de chambre en France. On a rencontré, ma femme et moi, un professeur de musique qui d’ailleurs avait été un co-locataire de ce même maire quand ils étaient étudiants ; il nous a fait rencontrer le maire que l’on a convaincu de créer cette École de musique de chambre en liaison avec le Festival : j’étais persuadé que diffuser de la musique classique n’avait de sens qu’avec une transmission des savoirs. Le festival était alors dirigé par un peintre, ami de Casals ; il s’est retiré dans les années 85 et la municipalité m’a proposé d’en prendre la direction. J’ai accepté avec plaisir de m’occuper et du festival et de l’académie et de les réunir sous la même appellation. Quand j’en ai pris la direction, il y avait peu de concerts : les musiciens venaient auparavant à Prades d’abord pour avoir l’opportunité de jouer avec Casals. C’était devenu un festival « normal » avec une dizaine de concerts par an.
Je pense avoir réussi, avec mon épouse, mes amis, à recréer l’image du festival : les musiciens viennent pendant deux semaines, acceptent de ne recevoir qu’un cachet modeste, de pratiquer ensemble, avec les étudiants, de jouer de la musique contemporaine, etc. Donc la plupart des musiciens viennent ici le temps du festival, sauf quelques chanteurs et un orchestre qui ne se produira que deux fois. Certains viennent même plus longtemps : le corniste André Cazalet sera là même avant, fin juillet, lors d’une mini-série en hommage à Casals « La retirada », avec un concert près de sa maison natale à El Vandrell, puis dans un hôpital à Perpignan, pour terminer à Prades. Il sera donc présent du 26 juillet au 13 août. D’autres grands solistes seront également présents durant toute la durée du festival comme le flûtiste Patrick Gallois par exemple.
On donne maintenant chaque année une quarantaine de concerts, plus quelques concerts à caractère social : migrants, prisons, hôpitaux… Les grands solistes qui viennent sont également professeurs et enseignent. On joue dans de nombreux lieux différents, souvent magnifiques, on irrigue de musique le département : on joue dans vingt-cinq villages où il n’y a jamais de musique vivante le reste de l’année et l’on va même jouer jusqu’à Saint Guilhem.
Une anecdote sur les lieux où l’on donne les concerts : un couple charmant est venu me féliciter l’an dernier à l’issue d’un concert : « on tient un hôtel-restaurant pas loin, à Belesta, venez nous voir », ce que je fis. On y donnera un concert le 31/7 à 11h : c’était le seul créneau où Capezzali (qui est par ailleurs œnologue) pouvait venir à temps de Salzburg… On donnera un quatuor pour cordes de Mozart (thèse), un quatuor pour vents de Françaix (antithèse) et pour finir un nonette de Français pour cordes et vents d’après un quintette de Mozart (synthèse). À noter que le contrebassiste, Théotime Voisin, est un ancien élève de l’Académie et est devenu contrebasse solo au Concertgebouw…
C’est moi qui établit les programmes de concerts, j’approche les musiciens : un travail de toute l’année ! Au bout de trente-cinq ans, le challenge est de se renouveler (notamment l’an prochain pour le 70e anniversaire !). Chaque année, je prends un thème général : je crois que le public a besoin d’un fil d’Ariane. L’année dernière c’était « L’Archet de la paix », avec l’intervention de mon ami Hubert Reeves. Cette année, c’est Le Rêve, avec Jean-Loup Chrétien (qui avait hésité étant jeune entre la carrière d’organiste et celle de spationaute…). J’aime bien dire à mes étudiants : « vous avez une clef pour ouvrir une boîte à rêves pour le public ».
Dans cette thématique, le rêve ce peut être aussi l’Orient Express : on aura des œuvres illustrant les villes de Paris, Munich, Vienne, Budapest (une œuvre rare pour violon et piano de Liszt), Bucarest (un pièce quasi inconnue d’Enesco) et finalement Constantinople (une pièce de Rabih Abou-Khalil). Je présente systématiquement tous les concerts, même si cela prend beaucoup de temps.
J’ai aussi programmé cette année une pièce de Dallapiccola pour un concert intitulé « Envol de nuit », Dallapiccola ayant été le seul compositeur à avoir écrit une œuvre sur « Vol de nuit » de Saint-Exupéry et certains m’ont dit « Dalla quoi ? ». C’est le même problème avec les œuvres inconnues du répertoire : « Fais plutôt les Quatre saisons ! ».
L’Académie
On a vu passer 5 000 jeunes musiciens à l’Académie depuis sa création. Ils sont pris en charge, logés dans un lycée, où se passent les cours, où ils se restaurent, certains d’entre eux jouent en concert avec les professeurs.
Public – Musique contemporaine
50% sont français de la région, 10% de français d’autres régions et 40% d’étrangers. Il y a 25% de concerts gratuits, sinon, les billets vont de 10 à 37 € (je rappelle que 37 €, c’est le prix moyen d’un billet pour assister à un match de football en France…). J’applique la règle des 2/3 : 2/3 de musique classique ou romantique, 1/3 de musique moderne ou contemporaine. Cela n’est pas sans causer quelques soucis : il est évident que programmer de la musique moderne peut réduire l’assistance à ces concerts, mais j’estime qu’il est normal de jouer la musique contemporaine, sinon on sera tous morts !
Il y a bien sûr une question de coût ; si un bon tiers des festivals est passé au baroque c’est que c’est plus facile : le public vient plus volontiers, c’est certainement intéressant, parfois plus facile à jouer et on n’a pas à verser de droits à la SACEM ! Et pas seulement pour les compositeurs vivants, mais pour les ayant-droits bien sûr. Je me rappelle une anecdote du temps où je jouais à l’orchestre de Nice où j’ai créé du Ballif, du Risset, etc. On avait demandé à un orchestrateur de réaliser la sonate de Poulenc avec orchestre. Je devais la jouer au festival de Gabriel Tacchino. Je reçois un appel de l’éditeur : « Michel, vous allez jouer l’orchestration de la sonate de Poulenc ? » moi : « oui elle est magnifique, viendrez-vous ? » L’éditeur : « Oui mais avec un huissier, ou bien vous y renoncez », alors que j’avais l’accord de la société Poulenc… J’ai joué il y a deux jours en Amérique latine un superbe arrangement de Porgy and Bess. Il a fallu deux ans pour avoir l’autorisation : il fallait non seulement envoyer la musique, que je loue trois jours un orchestre pour l’enregistrer sans avoir la certitude que ce serait accepté ; cela a pris six à sept mois pour obtenir enfin l’accord de jouer et d’enregistrer cette transcription… Je voulais monter un concert pour une amie qui dirige une petite association sans grand budget ; je voulais monter un programme avec des musiciens de la Côte d’Azur : un contemporain et Martinu, Poulenc, etc. Ce fut impossible à cause des droits. Quand j’étais plus jeune, lors de réunions au ministère de la culture, j’aimais à dire : c’est Mozart et Vivaldi qu’il faut taxer pour faire vivre les compositeurs actuels !
Concours International de composition
Il a lieu tous les deux ans. On invite des compositeurs en courte résidence, j’avais invité par exemple Penderecki, Mařatka, Fourchotte, Dalbavie… Je réunissais un jury de compositeurs et de musiciens. On faisait venir un groupe qui travaillait les partitions de trois compositeurs préalablement sélectionnées sur partition ; ils travaillaient les œuvres avec les compositeurs et c’était ensuite joué en public devant le jury. On a dû abandonner cette formule pour des raisons financières. On a donc changé la formule : on reçoit une quarantaine de partitions déjà écrites ; on se réunit avec les musiciens et on en choisit un à qui l’on va passer commande d’une pièce de musique de chambre. Grâce à la Fondation Salabert, elle est dotée d’un prix de 5 000 € ; celui qui sera sélectionné cette année verra sa pièce jouée par les musiciens du festival l’an prochain. Sur les quarante, il y a très peu de français, mais de nombreux jeunes compositeurs coréens et d’Amérique latine.