Il s’agit d’un concert donné au Festival de Lucerne le 8 septembre 1968. Un concert en quelque sorte historique : Kubelík venait souvent diriger au Festival de Lucerne (nommé à l’époque Internationale Musikfestwochen), il y venait en voisin, sa propriété au bord du lac de Lucerne, à Kastanienbaum n’était qu’à quelques kilomètres. Aspect historique, car le plus fameux émigré tchèque depuis 1948 venait d’apprendre le fin du « Printemps de Prague » avec l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie dans la nuit du 20 au 21 août 1968. Il appela à un boycott de la Tchécoslovaquie et des cinq membres du pacte de Varsovie, boycott qui recevra le soutien de dizaines d’artistes de premier rang (cf. détails ici) (cf. la visite chez lui de l’Orchestre philharmonique tchèque en 1969).
Il ne changea pas pour autant le programme de cette soirée en incluant par exemple une œuvre tchèque et maintint même la 4e de Tchaikovsky (Œuvre qui figurait déjà au programme de son premier concert à 19 ans avec la philharmonie tchèque et qu’il aura dirigé plus de quarante fois dans sa carrière).
Ce sera la seule fois où le pianiste anglais alors très célèbre, John Ogdon, se produit à Lucerne. Il n’a joué avec Kubelík qu’une autre fois dans le Concerto pour la main gauche de Ravel, quelques mois plus tôt à Munich.
Kubelík, quand à lui, après avoir souvent dirigé cet orchestre, notamment sous son ancienne dénomination « Philharmonia » du temps de Walter Legge chez EMI, ne le dirigera qu’une seul fois ensuite, en 1974 pour un concert à Londres en hommage au défunt Otto Klemperer.
On connaissait déjà cette 99e de Haydn, j’avais écrit à l’époque : « c’est pétulant, coloré, bondissant, voire espiègle ou débonnaire par moments, à vous faire adorer Haydn… ». On ne joue plus vraiment Haydn ainsi de nos jours, mais on était au niveau des meilleurs ‘Haydniens’ de l’époque : Bernstein, Jochum ou Szell.
Kubelík n’aura dirigé que trois fois le court Concerto pour piano de Schoenberg – il se dit que sa programmation ce soir-là aurait causé un certain émoi parmi des membres du comité du festival… Il le donna deux fois avec Brendel, dont le fameux enregistrement DG (Cf.). Cette version me paraît encore supérieure, de par les qualités de clarté et d’articulation du pianiste et d’un orchestre superlatif, très expressif ,dans une prise de son remarquable pour l’époque en en direct.
On connaissait cette 4e de Tchaïkovski dans une édition pirate exécrable ; la voici dans toute son intégrité sonore : orchestre somptueux, vision pleine à la fois de force expressive et d’humanité, un « must ». Kubelík aimait à dire qu’il n’avait jamais été satisfait complètement d’un seul de ses milliers de concerts, là on ne voit pas !