Jean-Nicolas Diatkine (3 juin 2014)
Or donc, on s’est lancé récemment dans une discographie du Carnaval de Schumann : on en écoute le début dans une quarantaine de versions, puis on aborde une écoute complète des versions sélectionnées : tout d’abord Arrau, très impressionnant et puis, au hasard de Qobuz, un inconnu – pour moi, Jean-Nicolas Diatkine et là je m’arrête tellement son interprétation me paraît l’évidence-même…
On s’est ensuite retrouvé sur FB et j’ai eu le bonheur de le rencontrer à déjeuner ce jour, de façon bien trop brève comme d’habitude. Un homme affable, de taille modeste, plus jeune que l’impression donnée par les quelques photos publiées.
Son parcours est complètement atypique : D’origine russe, ses parents nés en France étaient des médecins réputés et virent au début d’un mauvais œil leur fils se destiner de façon évidente à la musique : entendre chanter à 6 ans les airs de Don Giovanni, ça peut faire peur ! De 6 à 19 ans, il prit néanmoins des cours auprès de Wilfredo Voguet, qui lui conseilla de ne surtout pas fréquenter les Conservatoires… il travailla ensuite avec des élèves de Rafaël da Silva, répétiteur de Claudio Arrau, puis en 1989 avec Ruth Neye, professeur à l’Ecole Yehudi Menuhin du Royaume-Uni et en 1994 avec Narcis Bonet (1933*), compositeur d’origine catalane, formé par Nadia Boulanger et Igor Markevitch.
C’est Ruth Neye qui le prendra en main et le mène en un an et demi au niveau des concours internationaux de piano. Jean-Nicolas Diatkine se sentait néanmoins perdu au niveau de l’interprétation : « j’étais un pianiste ‘météo’ : mon interprétation dépendait de l’humeur du moment ou du temps qu’il faisait, en l’absence de conception affirmée ». Rendant visite à Narcis Bonet, il lui joua entre autres la 1e Ballade de Chopin, tout en sachant qu’il n’avait jamais pu analyser de façon satisfaisante les huit premières mesures.
Narcis Bonet lui demanda alors justement de qu’il pensait de ces huit mesures et finira par lui donner leurs sens. Ce n’est que trois années plus tard en 1994, à 30 ans, qu’il se décidera à demander à prendre des cours auprès de lui… Il avait déjà joué en concert en soliste à de nombreuses reprises, depuis l’âge de 18 ans en 1982. C’est au moment de sa rencontre avec Narcis en 1994 que la refonte complète de ses conceptions musicales l’a naturellement obligé à faire une pause dans sa carrière de soliste jusqu’en 1999 ; au contraire, sa carrière d’accompagnateur s’est bien développée pendant cette période : il a enregistré 2 disques avec deux cantatrices dans la seule année 1997. Il aura auparavant été accompagnateur dans une école de chant, ce qui lui appris beaucoup et pour le déchiffrage et pour son jeu en écoutant les phrasés des chanteurs.
Entre temps, il fut remarqué par la mezzo-soprano Alicia Nafé et le ténor Zeger Vandersteene et les accompagnera dans de nombreux récitals en Europe. Pour lui la recherche de l’authenticité est essentielle dans la musique, « ce n’est pas un maquillage ». Il avoue d’ailleurs se sentir toujours plus conforté à l’écoute de nombre de jeunes stars du piano…
Mis à part Arrau, bien sûr, son panthéon pianistique comprend Argerich, Busoni et Joseph Lhévinne. Il se méfie de la complexité affichée comme un principe, car celle-ci masque parfois un vide émotionnel : la musique contemporaine, entres autres, s’y égare parfois un peu trop à son goût : invité à faire une conférence sur « musique et lumière », à l’École Centrale de Lyon, il prit exemple sur FeuerKlavier de Berio (qu’il admire particulièrement), pour démontrer qu’il y avait autant d’effets de lumière dans le Rondo en ré majeur de Mozart… Ses récitals sont toujours construits autour d’une histoire, comme mettre en parallèle Brahms et Gaspar de la nuit comme musiques nocturnes. Il ne faudra donc pas le manquer lors de son récital annuel à Gaveau, le 12 novembre prochain. Ici la dernière sonate de Schubert (avec reprise) et le Sonnet de Prétrarque n°104 de Liszt :