« L’Espace des possibles » est un recueil de dix-neuf écrits ou entretiens du compositeur Frédéric Durieux (1959*) s’échelonnant de 1986 à 2018. Frédéric Durieux a obtenu le Premier Prix d’analyse et le Premier Prix de composition au CNMDP et étudié l’informatique musicale à l’IRCAM. Son site (en Flash).
Un premier article analyse des mouvements de A Mirror in which to Dwell d’Eliott Carter, pour soprano et orchestre de chambre, notamment dans ses aspects rythmiques et de gestion du temps.
Un article ultérieur (2004) analyse en profondeur la structure et les caractéristiques de Quadrivium (1969) de Bruno Maderna, structure qu’il apparente à Jeux de Claude Debussy. Y est évoquée, comme pour de nombreux compositeurs contemporains, l’influence importante de la musique électroacoustique. (Un autre article traite de la musique de Bernd Alois Zimmermann).
L’article « Héritages / Propositions » décrit les apports de Debussy, Webern, Berio et Boulez et aborde la problématique de l’électronique.
Dans « réseaux et création », il analyse l’évolution de la musique contemporaine et sa « ghettoïsation » engendrée par la baisse des subsides, notamment des maisons de radio, ainsi que la difficulté technique de la transmission d’œuvres mixtes – incluant une partie électronique.
Dans un entretien de 1994, il nous fait part de sa démarche compositionnelle et de ses influences. En 1996 : » […] dans cette bataille des esthétiques, les Saint-Just de l’avant-garde se crispent toujours lus, tandis que s’agite le quarteron de la restauration ». Un texte très intéressant de 1997 aborde « L’alliance paradoxale » du texte et de la musique, un autre fait la synthèse de l’œuvre de Gérard Grisey, bien que l’auteur soit assez éloigné du courant spectral.
Autre écrit passionnant : « De la structure au geste » (2007) où le compositeur critique parallèlement les systématismes de l’écriture post-sérielle des années 50 et de l’écriture spectrale, puis, par exemple, met en parallèle la Symphonie op. 21 de Webern et une fugue de Bach, etc. L’introduction de l’interviewer insistait sur l’évolution du langage chez Frédéric Durieux de Seuil déployé (1988-9189) à la troisième des Traverses (2001-2003).
(On peut écouter nombre de musiques de Frédéric Durieux sur sa chaîne Soundcloud).
On trouvera d’autres articles, sur la notation musicale, sur l’architecture, l’enseignement de la composition, etc.
L’ouvrage se termine par deux écrits conséquents et récents :
- « L’espace des possibles », donc, qui commence par la phrase savoureuse : « la musique est un malentendu », qui propose en quelques pages une sorte d’histoire le musique savante occidentale, au travers des notions de consonance et de dissonance, invoquant Debussy, Schoenberg, Berg, Webern ou Bartók, puis Stockhausen, Xenakis, Ligeti, Lachenmann ou Holliger. les spectraux. Extrait : « Ma thèse est que l’affaiblissement progressif des fonctions tonales,
à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, rééquilibre les paramètres de la musique occidentale. De ce fait, au début du XXe siècle, la hauteur est un paramètre égal à ceux de la durée, de l’intensité et du timbre.
Ce qui ne signifie pas que, de manière confuse et indistincte, ces
paramètres sont toujours travaillés à égalité ; cela signifie seulement que c’est au compositeur d’organiser la prééminence de tel paramètre ou de tel assemblage de paramètres.« - « Éloge du fragile et de la persévérance » est centré sur l’évolution de sa trajectoire durant les dix dernières années et passe en revue ses compositions récentes où parfois apparaît l’ombre d’un Robert Schumann, compositeur qu’il pratiquait au piano ou celle de la Deuxième guerre mondiale ou encore la figure de Debussy. Il évoque son attrait grandissant pour les petites formations au détriment de l’orchestre qu’il juge de plus en plus figé. Est également évoqué le erhu (cf.).
Un recueil de textes souvent passionnants et éclairants.
Frédéric Durieux
L’espace des possibles – Écrits et entretiens (1986-2018)
Laurent Feneyrou
Aedam Musicae – 2019 – 438 p. 28 €