C’est le 45e anniversaire de ce festival insolite par bien des aspects : les concerts se situent à la montagne, ce n’est pas le seul, il comporte une Académie pour les jeunes musiciens, ce n’est pas le seul, tous les concerts de la quinzaine sont gratuits, ce serait bien le seul et le seul surtout à cumuler ces trois caractéristiques principales.
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J’ai donc accepté avec plaisir de rencontrer son Directeur Artistique, le violoniste Éric Crambes, l’occasion d’inciter les vacanciers qui se rendraient dans la région d’aller y jeter une oreille (c’est du 15 juillet au 1er août).
Caractéristiques
« Je me plais à dire que j’ai le même âge que le Festival. C’est l’aventure extraordinaire de Roger Godino qui a créé de toutes pièces la station de ski des Arcs, et qui, au bout de trois ou quatre ans a estimé que cela n’était pas suffisant et qu’il fallait ajouter au site un aspect culturel : ce sera le festival de musique des Arcs où, dès le début et jusqu’à aujourd’hui tous les concerts sont gratuits et depuis treize ans que j’ai pris mes fonctions, je me bats pour qu’ils le restent, en faisant appel au mécénat et avec l’appui d’une association de près de 400 membres. Cette gratuité présente plusieurs aspects : presque philosophique : comme disait Leonard Bernstein à qui la 45e édition du festival est consacrée : « la musique ne se vend pas, elle se partage » ; d’autre part, nous avons une entière liberté concernant la programmation : nous ne sommes pas obligés de programmer uniquement Chopin, Beethoven ou Vivaldi pour vendre des places ; nos concerts mêlent généralement des pièces contemporaines, des pièces en relation avec le thème de l’année et une œuvre du grand répertoire ; enfin, on arrive à attirer des publics nouveaux : il y a un tiers de festivaliers mélomanes – c’est le festival qui a amené certains à acheter un bien immobilier, un tiers d’élèves avec leur famille et un tiers qui viennent par accident : c’est gratuit, sans chichi, sans barrière à l’entrée.
La fréquentation du festival est d’environ dix mille personnes pour une quarantaine de concerts ; soixante artistes, quarante professeurs, deux cent stagiaires, on a quelques concerts ‘hors les murs’ dans différents festivals de la région, le tout pour un budget assez miraculeux de cinq cent mille euros… L’équipe qui s’occupe du festival à l’année est composée de cinq personnes dont trois administrateurs bénévoles ; on est aidé par des stagiaires qui font des études en management culturel et un certain nombre de sous-traitants spécialisés. C’est une grosse machine à gérer : les partitions, les répétitions… et surtout le temps consacré à la recherche – de plus en plus difficile – de mécènes ou de sponsors. On a d’ailleurs innové en proposant à des entreprises de faire assister leurs employés à des masters classes : elles trouvent le passage de témoin d’instrumentistes reconnus à des jeunes très enrichissant. On fait également des concerts alliant musique et œnologie.
De nombreux concerts ont lieu au Centre Bernard Taillefer, d’une jauge de 7 à 800 personnes (image). On a aussi une petite salle de 200 places, plus intime où je fais donner des programmes de type ‘Schubertiade’ et on a la chance d’avoir de nombreuses églises baroques aux alentours. On a aussi un après-midi consacré à Bach à la chapelle des Vernettes, superbe lieu situé à près de 1 900 mètres d’altitude, à une heure et demie de marche, on l’a appelé « Open Bach » en référence encore à Bernstein…
Éric Crambes et le festival
Pour en revenir à mon histoire personnelle avec le festival, cela a effectivement commencé il y a 45 ans environ : j’y ait fait mes débuts à skis, j’y ai connu mes premiers concerts ; j’avais assisté un jour à un concert de Raphaël Oleg et je disais à mon père : c’est bizarre de voir jouer un musicien en jeans ! Puis j’ai fait partie plusieurs années de suite de l’Académie de musique ; l’ancien directeur artistique m’avait repéré à la Julliard et m’avait fait venir comme Jeune talent, j’y ai été ensuite professeur de musique de chambre, de violon et maintenant directeur artistique ! C’est un bel endroit, on n’y vient pas pour le cachet, d’ailleurs chaque artiste reçoit le même forfait, quel que soit son volume d’activité. Quasiment tous les grands artistes sont venus se produire au festival et Roger Godino s’est dit qu’il était dommage de ne pas faire profiter aux jeunes de tous ces talents, d’où la création de l’Académie. C’est l’une des grandes spécificités du festival : l’intrication entre l’Académie et le festival, c’est assez unique, peut-être peut-on en trouver un équivalent à Prades. C’est aussi un tremplin pour de jeunes interprètes. Le renouvellement des artistes qui viennent se produire se fait principalement par cooptation, de même pour les compositeurs en résidence. Les concerts sont uniquement consacrés à la musique de chambre, avec parfois la constitution d’un orchestre ou l’invitation par exemple de l’orchestre de chambre de Savoie dirigé par Nicolas Chalvin qui a pu venir il y a quelques années. L’an prochain, il y aura constitution d’un orchestre car on fêtera les 50 ans de la station des Arcs.
L’Académie
Les élèves paient leurs cours et leur hébergement, même si l’on peut attribuer quelques bourses. On leur offre des cours de musique de chambre donnés par cinq à sept professeurs : l’an dernier on a ainsi créé une quarantaine de groupes parmi les deux cent stagiaires : le matin ils ont cours – douze par classe au maximum pour qu’il y ait un suivi effectif des élèves pendant onze jours, ils ont donc la possibilité de suivre les cours de musique de chambre et j’ai mis en place des ateliers de développement personnel : yoga, gestion du stress, lutherie, etc. et les concerts ou conférences auxquels ils peuvent participer.
Les jeunes talents
On invite dix ou quinze jeunes talents chaque année, repérés au CNSM où j’enseigne ou pendant l’Académie, parfois il s’agit d’ensembles nouvellement constitués que je suis pendant trois ou quatre ans pour leur mettre le pied à l’étrier. On a également un cursus préparatoire au concours d’orchestre : on a un préparateur mental, une kinésithérapeute, c’est très concret : quand on sait que pour un poste de violoniste au sein d’un grand orchestre il y a cent postulants qui ont trois minutes pour convaincre…
Compositeurs en résidence
Le compositeur en résidence participe aussi à cette action pédagogique en faisant travailler ses œuvres ; cette année, c’est Florentine Mulsant, mais il n’y a aucune chapelle : on a eu par exemple Nicolas Bacri, Kaija Saariaho, des micro-tonaux, etc. Chaque année il y a une commande pour une création.
Éric Crambes violoniste
Je suis un fan d’opéra, j’ai joué sept ans dans l’orchestre de la Scala et suis actuellement violon solo au sein de l’Orchestre de Séville, on donne quatre représentations d’opéras par an, ballets, zarzuelas… et une saison de seize concerts symphoniques.
J’ai eu la chance de jouer pour de très grands chefs. Vous me posiez la question en évoquant Kubelík de l’importance pour un chef d’avoir joué préalablement un instrument à cordes ; c’est évidemment important. Mais d’autres ont pu étudier les instruments à vent également. J’ai eu la chance de jouer sous la direction de Riccardo Muti, un chef fantastique, exigeant et très professionnel ou bien Valeri Guerguiev, un chef ‘animal’ qui, arrivant à la répétition déclare : je connais la partition, vous aussi, à tout à l’heure ! et il galvanise tout l’orchestre et lui imprime sa propre sonorité : j’ai joué cinq représentations de Boris à la Scala, il changeait l’interprétation à chaque fois… [je lui ai fait part de mon admiration devant son interprétation du Requiem de Berlioz la semaine dernière à Saint-Denis. Enfin, il est le compagnon d’une cantatrice espagnole qui chantera la 4e de Mahler dans une version de chambre].