Chopin – Polonaises – Pascal Amoyel
Chaque disque de Pascal Amoyel est une sorte de quête d’une signification maximale des œuvres jouées, celui-ci n’échappe pas à la règle. Cela faisait un an que l’on savait que l’enregistrement avait eu lieu, le voici enfin sorti.
7 polonaises ici : op.26 n°1 & 2 (1831/6) – op.40 n°1 (« Militaire ») & 2 (1838/9) – op.44 (1841) – op.53 (« Héroïque ») (1842) – Polonaise-fantaisie op.61 (1846).
Danse à 3/4, la polonaise a été utilisée de nombreuses fois, de Bach père et fils à Schubert :
Mais celui qui l’inspira probablement fut Michał Kleofas Ogiński (1765-1833), compositeur notamment de la « Polonaise de l’adieu » :
Ce CD est un très bel objet, avec un texte de Jean-Charles Hoffelé et une interview signifiante du pianiste.
J’ai suffisamment entendu Pascal Amoyel en concert pour avouer ne pas tout à fait reconnaître sa sonorité avec ce CD : le piano est à la fois pris de près, sonne parfois un peu dur, alors que l’image sonore est très ‘grande’ et que certains accords semblent happés par la réverbération du lieu. Renseignement pris, Pascal Amoyel a voulu cette prise de son moins « consensuelle » que pour les Nocturnes par exemple : pour lui cette musique est « terrible », celle de « l’exil, du sans domicile fixe ».
Les enregistrements des Polonaises sont nombreux ; pour s’en tenir aux « intégrales » (Chopin aurait composé une première Polonaise à l’âge de 7 ans), j’ai repéré, sans vérifier les dates exactes :
Stefan Askenase | 1957 |
Alain Bernheim | 1958 |
Witold Małcużyński | 1960 |
Grant Johannesen | 1961 |
Gyorgy Cziffra | 1963 |
Arthur Rubinstein | 1964 |
Adam Harasiewicz | 1968 |
Samson Francois | 1969 |
Milosz Magin | 1971 |
Garrick Ohlsson | 1972 |
Lazar Berman | 1979 |
Vladimir Ashkenazy | 1981 |
Idil Biret | 1992 |
François-René Duchable | 1996 |
Elisabeth Leonskaja | 1996 |
Rafał A. Łuszczewsk | 1996 |
Maurizio Pollini | 1998 |
Homero Francesch | 2001 |
Caroline Sageman | 2009 |
Rafal Blechacz | 2013 |
Nelson Goerner | 2015 |
Beaucoup de grands noms et pas seulement de spécialistes de Chopin, comme quoi il n’y a pas que deux catégories de pianistes, ceux qui jouent Chopin et ceux qui ne le jouent pas. Parmi eux le professeur de Pasacal Amoyel, György Cziffra et Lazar Berman qu’il avait rencontré lors d’un stage.
On retrouve bien sur la qualité du jeu de Pascal Amoyel, l’évidence de ses phrasés, l’interprétation d’ensemble étant décidée, parfois âpre. Quelques notes d’écoute : un op.26 n°1 joué Allegro (mais en un peu plus de 8′ contre 7′ pour Cziffra par exemple), avec des phrases d’un très beau galbe, faisant naître une « sentimentalité » au bon sens du terme, sans recours à des excès de rubato ou d’effets. L’op.26 n°2 prise dans un tempo assez rapide nous vaut des séries d’accords superbes. L’op.40 n°1 (la « militaire »), ne sonne pas vraiment militaire, même si le titre est de l’éditeur, certes « droite dans ses bottes » mais elle m’a semblé un rien placide ; le militaire n’est pas la tasse de thé de Pascal… Un op.40 n°2 presque amer, en tout cas nostalgique à souhait tout en restant altier. L’op.44 : de superbes qualités d’articulation, peut être un peu sage, mais avec un trio magique, fin très prenante. La Polonaise-Fantaisie : un début magnétique dans sa gestion du temps, une lecture plus introspective qu’extérieurement brillante.
Reste « l’héroïque » pour laquelle j’ai comparé avec quelques versions célèbres : Cziffra, Berman, Pollini, et Freire 2.
Cziffra me semble manquer un peu de carrure, Berman est presque trop sonnant dans tous les registres, Pollini paraît quasi idéal, notamment par son respect des indications de dynamique, Freire, qu’on avait tant apprécié dans la Berceuse – comme Amoyel d’ailleurs, est peut-être à peine moins flamboyant mais a un plus beau toucher. Enfin Amoyel montre bien qu’il est au niveau des meilleurs, avec une vision plus habitée, mais certainement pas moins enlevée. (Au fait, certes ce n’est pas du Stockhausen, mais aucun ne semble vouloir rendre les fff de la partition ?).
En conclusion un superbe CD pour une interprétation aussi personnelle que prenante. Site de l’éditeur