Rencontre avec Irvine Arditti

Irvine Arditti
Irvine Arditti

J’ai été heureux et honoré de pouvoir rencontrer cette « star » de la musique contemporaine, même si ce fut trop court. Son quatuor était à Paris pour participer à la “Biennale de quatuor à cordes” à la Philharmonie, donnant des œuvres de Philippe Hurel, Hugues Dufourt et James Dillon.

TV : Voici une interview de Antoine Maisonhaute du quatuor Tana. Les connaissez-vous ?

IA : Non : on rencontre peu de confrères : quand on joue, ils ne jouent pas et vice-versa. C’est la vie !

TV : Un panorama général de la musique contemporaine ?

IA:  Vaste question : bien sûr, littéralement, la musique contemporaine est la musique de notre époque, mais elle a changé considérablement depuis nos débuts, disons il y a près de quarante ans. Elle va maintenant dans de nombreuses directions, bien plus que lorsque l’on a commencé. Cette diversité est d’ailleurs un problème pour l’interprète. On essaie de suivre la plupart des courants sauf par exemple le minimalisme ; nous avons joué certains compositeurs minimalistes par le passé, mais plus maintenant, même si nous jouons des pièces de John Cage ou Morton Feldman qui peuvent être dans un certain sens considérées comme minimalistes.

TV : Quelle est la tendance pour le répertoire contemporain pour quatuor à cordes, y-a-t-il plus de créations que mettons il y a trente ans ?

IA : Oh oui ! De nos jours les quatuors à cordes spécialisé dans la musique contemporaine et les jeunes quatuors sont plus familiarisés avec celle-ci. Je vous donnerai un exemple : la South bank à Londres nous avait demandé, sans doute dans les années 80 de donner les quatre quatuors à cordes de Schoenberg avec des ensembles anglais et nous ne connaissions que le quatrième à l’époque. J’ai passé de nombreux coups de fils et fait des recherches et n’ai pu en trouver aucun qui puisse seulement jouer deux des trois autres, nous décidâmes avec les South bank de les donner tous alors nous-mêmes. Nous étions très heureux de le faire mais c’était une énorme charge de travail. De nos jours, tous les grands quatuors classiques : Hagen ou  les Artemis (qui jouent demain après nous) jouent de la musique contemporaine.

Il y a un vingt ans, peut-être seul le quatuor Alban Berg était le seul fameux dans le répertoire classique à jouer également de la musique contemporaine. Je me rappelle avoir été heureux de voir leur altiste et violoncelliste, Thomas Kakuska and Valentin Erben, se joindre à nous pour La Nuit tranfigurée de  Schoenberg pour notre cycle complet consacré à la deuxième école de Vienne. Nous avions tellement aimé jouer ensemble que nous décidâmes de poursuivre notre collaboration en donnant ensemble les deux sextuors de Brahms et des créations de sextuors de Friedrich Cerha et Iannis Xenakis.

TV : J’ai visité votre site Web et compté – seulement pour les quatuors – environ 950 œuvres dont plus de 550 créations mondiales… Vous avez donc fait de nombreuses premières, mais avez-vous fait beaucoup de « secondes » ?

IA : Oui ! En fait, il est rare qu’une pièce ne connaisse pas de deuxième performance. C’est parfois difficile : vous me mentionniez le 3e quatuor « Melancolia » de Philippe Manoury ; c’est une pièce longue, plus de quarante minutes, c’est donc moins facile à programmer. Nous ne l’avons donnée que deux fois jusqu’ici, mais nous comptons évidemment la rejouer dans le futur. L’œuvre nécessite aussi l’emploi de crotales en plus de nos instruments habituels, et c’est un problème pratique supplémentaire. Nous jouons souvent des pièces qui requièrent des équipement supplémentaires, comme des microphones, des ordinateurs, etc. Ordinateurs mis à part, nous n’avons pas ces équipements en propre, ils doivent être fournis par les organisations pour lesquelles nous jouons.

TV: Il y a bien eu dix changements d’instrumentistes dans la formation du quatuor Arditti. Comment gérez-vous ces situations, est-ce long pour intégrer les nouveaux arrivants ?

IA: On essaie d’avoir d’excellents instrumentistes qui sont déjà familiers de notre répertoire. C’est très rafraîchissant de travailler avec de nouvelles personnes, qui apportent des idées neuves.

TV: J’ai rencontré des compositeurs, disons plutôt dans la lignée Dutilleux que Boulez, qui m’ont dit préférer voir leurs œuvres créées par des ensembles classiques plutôt que des ensembles spécialisés.

IA: Ça ne me pose pas de problème : il y a de nombreux compositeurs et de nombreux quatuors ! Ce que je peux dire, c’est que nous aimions beaucoup Henri Dutilleux – il préférait notre enregistrement d’Ainsi la nuit aux autres versions. Il a assisté à certains de nos concerts où nous jouions de jeunes compositeurs ; il était toujours intéressé par la musique nouvelle, discutant des partitions avec ces jeunes compositeurs. Il voulait écrire pour nous un nouveau quatuor à cordes, mais, comme Ligeti et Nono, il ne put le faire. Donc, je n’ai pas de problème avec les compositeurs qui préfèrent être interprétés par des ensembles classiques. Certains n’aiment peut-être pas nos sonorités, mais je ne vais pas changer ma façon de jouer.

TV: Pouvez-vous dire quel sont vos favoris…

IA: Non ! Je ne réponds jamais à ce genre de question : je ne veux pas avoir ensuite des mails de compositeurs venant me demander pourquoi je ne les ai pas cités… On peut dire que des performances répétées de musiques de certains compositeurs montrent que ces pièces sont importantes pour nous et les organisateurs qui nous engagent. Je suis allé à Darmstadt quand j’avais quinze ans, rencontrant Stockhausen, Ligeti et plus tard Xenakis : trois compositeurs importants qui m’ont énormément influencé. J’étais très proche de Xenakis qui a écrit de nombreuses pièces pour les Arditti : pièces pour quatuor, un concerto pour violon, etc. Stockhausen a écrit son furieux quatuor pour hélicoptères, après m’avoir dit pendant des années qu’il n’écrirait jamais de quatuor à cordes. Ligeti m’a dit pendant de nombreuses années qu’il projetait d’écrire un nouveau quatuor à cordes, mais il ne le fit pas. Je me suis toujours consacré dès le début à la musique contemporaine et c’est avec cette musique que nous avons commencé mais nous avons rapidement intégré à notre répertoire la deuxième école de Vienne et Bartók que je considère comme des points de référence.

TV: En regardant votre répertoire, j’ai été ébahi de voir qu’il n’y avait qu’une seule œuvre de Beethoven : la Grande fugue !

IA : [Rires] C’est parce que c’est de la musique moderne ! On a déjà joué en fait les Op.95 et Op.131, mais je n’en fais pas toujours mention.

TV : Pourriez-vous nous dire quelques mots à propos du programme que vous donnez demain à la Philharmonie ?

IA  : Je ne parle pas à propos de musique qui n’a pas encore été jouée. J’ai horreur de lire des programmes, les gens peuvent lire ce que le compositeur a écrit après le concert. Je pense que le public, écoutant un concert, devrait être inspiré par la musique qu’il écoute – que pouvez-vous dire à propos de la musique, l’analyser ? La musique est une expérience auriculaire ; si ça n’a aucun effet sur vous, c’est la faute de la musique elle-même, ou la nôtre.
Quand les gens vont à un concert comportant des œuvres connues, même si c’est mal joué, il en connaissent les meilleures interprétations, ils connaissent les œuvres. C’est d’ailleurs pourquoi ils aiment la pop musique : ils veulent écouter de la musique qu’ils connaissent, qui leur est familière. Pour moi, la musique contemporaine, c’est exactement l’inverse : la chose importante est de ne pas savoir ce qui va arriver. J’ai rencontré de nombreuses personnes à l’issue d’un de nos concerts disant ‘je n’ai jamais entendu ce compositeur auparavant et c’était incroyable’ ; ce genre de réaction est typique de personnes qui ne sont pas habituées à écouter de la musique contemporaine, c’est pour eux une véritable expérience. Si vous commencez à leur dire ce qui va se produire dans une pièce contemporaine, ils fermeront leur esprit et leurs oreilles. Alors, excusez-moi si je ne vous prépare pas au concert de demain !

TV : Quel temps cela vous prend-il pour un préparer un programme comme celui de demain ?

IA : Cela dépend bien sûr du programme lui-même. Demain, il y a deux pièces que l’on a déjà joué : c’est la troisième exécution pour celle de Dufourt et la seconde pour celle de Hurel et une création pour Dillon : ce programme nous prend trois ou quatre jours, incluant notre travail avec les compositeurs, recevant leur opinion sur notre interprétation.

TV : Quand allez-vous prendre votre retraite, jamais ?

IA : J’aime mon travail, c’était mon hobby qui est devenu ma profession. Sans doute avec l’âge on finit pas moins bien jouer, mais je pense que je resterai impliqué dans la musique contemporaine, d’une façon ou d’une autre : je ne vais pas dire stop et fermer la porte…

TV : Vous donnez des master classes. Pensez-vous que le niveau technique des instrumentalistes ne cesse de s’améliorer ?

IA : Oui, même si certaines pièces sont encore très difficiles pour les instrumentistes à cordes, même certaines pièces anciennes comme la musique pour cordes de Brian Ferneyhough par exemple. Cela ne rend pas cette musique plus facile à jouer, mais les gens ont maintenant des esprits plus ouverts.

TV : Pour terminer, aimez-vous l’opéra ?

IA : Je ne suis pas un grand fan d’opéra. Je préfère écouter de la musique plutôt que de me faire raconter une histoire. Mon fils Jake est un grand contreténor : il pratique de nombreux opéra baroques mais il a chanté le Prince Gogo dans le Grand macabre de Ligeti. J’assiste souvent à des représentations où il se produit. Il a joué également dans une œuvre de mon épouse, Hilda Paredes, avec notre quatuor mais aussi dans un ouvrage de Sciarrino l’an dernier. 
Je vais parfois à l’opéra, je suis venu à Paris pour écouter l’opéra de Helmut Lachenmann par exemple.

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