Rencontre avec Brigitte Métra, l’architecte associée à AJN pour pour la conception et la réalisation de la salle de concert de la Philharmonie.

Brigitte Métra
Brigitte Métra

Brigitte Métra avait été préalablement chef de projet pour les salles de concerts de Copenhague – 2 ans et 1/2 – et de Lucerne – 8 ans -(salles respectivement de type « vignoble » et « boîte à chaussures ») lorsqu’elle travaillait dans l’équipe de Jean Nouvel. Elle fonda ensuite sa propre agence, mais fut associée au projet de la Philharmonie pour la conception de la salle.

Ce projet fut l’objet de nombreuses péripéties – politiques essentiellement : on ne va pas en refaire ici l’histoire, on dira simplement qu’elle a été  heureuse d’avoir été félicitée pour son travail, lors de sa décoration  récente de la légion d’honneur par la ministre de la Culture.

Perception de l’acoustique

Je lui ai dit, ce que tout mélomane fréquentant régulièrement la Philharmonie pense sans doute, à savoir que chacun connaît une expérience sonore particulière à la Philharmonie en fonction de la place qu’il occupe, toujours dans une grande clarté, mais aussi avec parfois certaines spécificités ; on passera sur les places situées derrière l’orchestre : je me rappelle une 4e de Mahler dirigée par Philippe Jordan : mes voisins applaudirent à tout rompre la soprano, alors qu’on ne l’avait pas entendue du tout…
J’ajoutais ma curieuse expérience lors du week-end portes ouvertes consacré à l’orgue – cf. mon compte-rendu. « Il n’y a pas eu le temps de faire des tests et réglages acoustiques par rapport à l’orgue ; ces problèmes auraient alors pu être résolus ».

La salle

Après lui avoir fait part de ces quelques remarques, Brigitte Métra fut heureuse de mes quelques considérations : si les avis sont partagés sur l’aspect extérieur du bâtiment (on peut depuis quelques jours descendre la paroi nord à pied comme si l’on se promenait aux voisines « Buttes-Chaumont »), on est saisi, « emballé » quand on découvre la beauté de la salle, à la fois immense et intime, d’une esthétique tant éblouissante qu’innovante qui emporte immédiatement l’adhésion.

Le cahier des charges et le déroulé

Le concours a été lancé en 2007, et l’appel d’offres se clôturait le 5 août 2009 –  » Deux ans pour les études d’un projet d’une telle complexité, c’est très court – c’était quatre ans pour Lucerne » . Les travaux commencèrent en 2011 jusqu’à l’inauguration en janvier 2015, le bâtiment étant encore dans un certain état d’inachèvement.

Le cahier des charges – une salle de 2 400 places – laissait toute liberté quant à la conception générale de la salle : cela aurait pu être une traditionnelle boîte à chaussures comme à Lucerne, avec un son clair et précis, ou en vignoble, avec un son enveloppant comme à Copenhague ou Berlin. Il s’agissait aussi de « ne pas renouveler certaines  catastrophes acoustiques que l’on a pu connaître dans les années 70-90 ».
L’idée de Brigitte Métra était de concilier les deux écoles et d’obtenir un son tout à la fois enveloppant et précis. « Une vraie gageure ». L’autre objectif était d’obtenir une intensité sonore équivalente pour toutes les places et de créer la sensation pour le public d’être immergé dans la musique, il a donc fallu jouer sur les réflexions précoces et tardives, ce qui était très risqué compte-tenu du caractère asymétrique de la salle » (pour des notions de base d’acoustique cf. ce site).

Il fallut à Brigitte Métra beaucoup de patience pour convaincre et concilier les deux acousticiens qui lui avaient été rattachés : Harold Marshall, acousticien de la salle de concert dans l’équipe du concours, néo-zélandais qui avait travaillé au début des années 70 sur la salle de Christ Church (NZ) et Yasuhisa Toyota, de Nagata Acoutics – acousticien de très nombreuses salles de concert, qui avait fait partie de l’équipe de Franck Ghery ayant participé à l’appel d’offres de la Philharmonie, non retenue pour concourir,  et devenue donc disponible.  Chaque élément de la salle a dû être validé par l’un, puis par l’autre séparément sans qu’ils ne travaillent ensemble puisque faisant partie de deux « écoles acoustiques » différentes…

TV : Comment juge- t-on du résultat ?
BM : Il suffit d’entendre les réactions élogieuses des musiciens du New York philharmonic ou d’un Daniel Barenboïm par exemple. (Ci-dessous l’interview récente de Bruno Hamard, directeur général de l’Orchestre de Paris, a vanté les mérites de la Philharmonie dimanche, dans l’émission EcoSystème sur Europe 1).


« Pour la majorité des musiciens, la… par Europe1fr

« Il nous a fallu ‘sculpter le vide’. L’idée était de concevoir une salle où ce qui ne sert à rien soit écarté, de sorte que chaque surface serve à réfléchir le son ou bien à porter du public. Qu’on vide tout le reste ». 

Ci-dessous deux maquettes 3D successives : à gauche le concept d’origine en maquette réalisée sur la base des plans architecte du concours, à droite, une maquette plus avancée intégrant les paramètres précis des acousticiens et scénographes (cliquer pour agrandir) :

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Les angles de chaque m² de surfaces sont préconisés par les acousticiens puis « sculptés » par les architectes pour créer la fluidité de l’ensemble. Il faut que la masse de chaque matériau soit de 25 à 100 kg / m2, respecter les courbes de visibilité (simulées sur ordinateur, d’où la raideur un peu exagérée de la pente au niveau du 2e balcon), choisir les matériaux (bois, plâtre densifié, métal, béton, tissu des sièges…). La coque est munie de rideaux absorbants, qui se déploient dans le vide à l’arrière des balcons et permettent de simuler la présence du public pendant les répétitions ; d’autres rideaux sont présents autour de la scène jazz – musiques du monde, en velours noir, pour les concerts amplifiés. Le ‘Canopy’ se règle en hauteur, notamment pour le retour scène pour les musiciens d’orchestre, afin qu’ils puissent s’entendre entre eux.

Principaux types de réflexion de la salle :

reflexions

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Utilisation « Symphonie »

Utilisation « Contemporaine »

Ce que je ne soupçonnais pas, c’est que pour tester la présence ou non « d’échos négatifs » du point de vue acoustique dans les options retenues, il a fallu réaliser une vraie maquette de la salle au 1/10ème ! (coût : 200 000 € hors études) :

Campagnes de tests acoustiques réalisées par Nagata acoustics),
Campagnes de tests acoustiques réalisées par Nagata acoustics),
Modularité

TV : Philippe Manoury m’avait dit regretter que la salle ne fût pas modulable ?
BM : La salle dispose de deux types de scènes et permet de nombreuses configurations différentes. L’ensemble du parterre est amovible (parterre bas, scène, gradins de chœurs dont le socle devient scène jazz – musiques du monde). Ces dispositifs de modularité n’existent dans aucune autre salle de concert symphonique. Des espaces plateformes pour les musiciens peuvent être aménagées au milieu des spectateurs. Elle est donc modulable, mais pas autant que l’on aurait pu le souhaiter pour  certaines œuvres de musique contemporaine, existantes ou futures. 
Même si nous avons fait appel à des compositeurs contemporains lors de la phase de conception (par l’intermédiaire de Joséphine Markovits : Gérard Pesson, Marco Stroppa  et d’autres), c’était malheureusement hors budget. J’aimerais beaucoup réaliser une salle entièrement modulable pour la musique contemporaine.

Site de l’agence Brigitte Métra

2 réflexions sur « Rencontre avec Brigitte Métra, l’architecte associée à AJN pour pour la conception et la réalisation de la salle de concert de la Philharmonie. »

  1. Merci Thierry pour nous transmettre ces tentatives d’explications si difficiles à partager.
    Passionnant y compris pour le néophyte acousticien que je suis mais auditeur attentif et curieux de la transmission des effets sonores. Ainsi je n’arrête pas de m’interroger sur la façon dont je perçois le son à chacun de mes concerts dans le nouvel auditorium de la radio, sans avoir de réponse aussi satisfaisante que celle de mes observations sonores disparates mais toutes contradictoires.
    Tous mes Voeux pour la nouvelle année.
    Bruno Courault

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