Rencontre avec la pianiste Aline Piboule

Aline Piboule – Site web – Crédit photo : Jean-Baptiste Millot

Notre rencontre s’est faite sur un quiproquo : je devais assister le soir au concert des lauréats du Concours de piano d’Orléans avec notamment Maroussia Gentet, quand je reçois un gentil message me remerciant pour l’article que j’avais écrit sur un CD comportant la Sonate de Dutilleux et me disant « à ce soir ». J’ai cru qu’il s’agissait de la finaliste du soir alors que c’était Aline Piboule, qui fut lauréate du même concours en 2014, or je fis un papier sur la Sonate de Dutilleux par l’une et l’autre
Pour me faire pardonner ma méprise, j’ai donc proposé cet entretien réalisé au cours d’un déjeuner au quartier latin…

Parcours

Dans sa jeunesse, une des personnalités qui l’aura marquée est son grand-père maternel, violoniste, professeur d’histoire de la musique, fondateur et chef d’orchestre d’ensembles amateurs – chorale, orchestre au lycée- qui aura suscité de nombreuses vocations musicales. « Quand un élève avait des notes insuffisantes, on le menaçait de l’empêcher d’assister aux sessions menées par mon grand-père… ».

Fille (elle a un frère et une sœur) d’un père géologue et d’une mère professeur de mathématiques, elle commence le piano à l’âge de huit ans en école de musique (Vizille) « à l’époque on devait faire un an de solfège en CE1 et on ne pouvait aborder l’instrument qu’en CE2… Mais en fait dès l’âge de 5 ans je faisais des rêves récurrents dans lesquels j’étais pianiste ». Elle intégrera ensuite le Conservatoire de Grenoble, avec le professeur Daniel Berthet, pédagogue d’une grande humanité et disciple de Vlado Perlemuter. Ce sera ensuite le CRR de Lyon en classe d’accompagnement avec Marie- Cécile Milan, professeur d’une grande exigence. « J’ai toujours adoré l’accompagnement, que j’ai beaucoup pratiqué à partir de 13-14 ans au Conservatoire avec les autres étudiants : j’aimais cette instantanéité, et la jubilation d’être sur un fil avec mes partenaires ».  Ce sera ensuite le CNSM de Lyon, d’abord en accompagnement. Mais au bout d’un moment, n’y trouvant plus son compte (trop de temps à passer à la technique de la réduction d’orchestre à vue, à la transposition et pas assez de jeu avec d’autres musiciens) Aline se présente en classe de piano et entre à l’unanimité au CNSM de Lyon, dans la classe de Géry Moutier. Elle participera alors à des échanges avec le Canada, suivant l’enseignement de Jean Saulnier « autre professeur fabuleux, immense pianiste et pédagogue » à l’Université de Montréal,  une institution québécoise de très haut niveau  pour le piano dont l’enseignement découle de grands maîtres tels que Leon Fleisher, Marc Durand, Yvonne Lefébure.

Après un premier prix à l’unanimité au CNSM de Lyon, Aline est entrée au CNSM de Paris en cycle de perfectionnement chez Hervé Billaut, lui-même ancien élève de Leon Fleisher.

« Je n’ai pas suivi beaucoup de master classes (Ivry Gitlis, Jean-Claude Pennetier, Anne Queffélec…) préférant les relations dans la durée avec mes professeurs ».

En parallèle, elle a été accompagnatrice de la grande classe de chant de Daniel Ottevaere à l’École Normale « j’aimais profondément cela : accompagner les grands airs d’opéra et les chanteurs en général permet de développer un certain sens de la ligne musicale lié au corps, à la respiration, et apprend donc un certain type de rubato très naturel. »

Très attirée par la relation entre la musique et les autres arts, elle a pendant plusieurs années participé à divers projets pluridisciplinaires notamment en théâtre musical et en danse, privilégiant ainsi les rencontres et les projets atypiques. De ces expériences elle en retire son goût pour casser les frontières existantes et les habitudes des concerts classiques.
De cette volonté naît également ses collaborations avec de nombreux compositeurs vivants (Henri Dutilleux, Hugues Dufourt, Philippe Hersant, Benoît Menut, Jérôme Combier, Martin Matalon…) ainsi qu’avec les ensembles de musique contemporaine Court-circuit, l’Itinéraire ou encore 2E2M.

Après ces quelques années à s’enrichir de sa relation aux autres, Aline décide de se recentrer exclusivement sur le répertoire de piano solo et la musique de chambre.
« En 2014 j’ai décidé de passer le Concours International de piano d’Orléans. Concours complètement atypique, qui permet de proposer des programmes très personnels sur la musique du 20ème et 21ème siècle. J’ai pu ainsi y interpréter tout autant du Rachmaninov, du Fauré, que du Crumb, Ohana ou Boulez.  J’ai fini deuxième du concours avec cinq prix, ce qui a permis de développer ma carrière de soliste grâce notamment au fort soutien que ce concours apporte à l’organisation d’une tournée des lauréats. »

Répertoire

« De Bach à aujourd’hui, je ne veux surtout pas être cataloguée spécialiste de quoi que ce soit : j’aime simplement jouer de la musique, seule ou avec d’autres musiciens. Je n’ai pas de préférence marquée pour tel ou tel répertoire ou plutôt mes préférences changent selon les périodes de ma vie. En ce moment j’ai beaucoup de plaisir à m’immerger dans le répertoire français : Fauré, dont je suis en train de travailler l’intégrale des Barcarolles, Debussy, Franck, compositeurs incontournables. Mais également des compositeurs moins joués et pourtant de véritables orfèvres typiques de la musique française de cette époque tels que Déodat de Séverac ou Guy Ropartz.

Je suis une instinctive, j’ai besoin de me sentir pleinement en phase avec les œuvres que j’interprète quand je décide de mes programmes de récitals solo. Par exemple, jusqu’à mes 25 ans  je ne comprenais absolument pas la musique de Debussy alors que celle de Chopin me parlait totalement.

C’est à mon avis le travail avec des compositeurs vivants qui m’a peut-être permis de dépasser le modèle familial, car j’ai toujours entendu mon grand-père dire que la grande musique s’arrêtait à Berlioz ! (rires)
Jouer de la musique contemporaine était pour moi aussi un geste politique et militant. J’estime que la société française, basée sur un système de service public et de solidarité entre concitoyens m’a permis de suivre un enseignement musical de haut niveau, gratuitement.  Moi qui vient d’un milieu modeste, je considère donc qu’il est naturel et nécessaire de donner une partie de mon temps à des compositeurs vivants, comme une loyauté envers un système dont j’ai profité. »

« Je construis souvent mes programmes de récitals  autour de thématiques pas forcément musicales, et j’aime chercher la façon dont une œuvre peut en éclairer une autre. Trouver des liens entre les œuvres, les mettre en miroir est quelque chose qui me passionne. C’est ce qui m’a récemment amené à enregistrer un disque mettant en regard des œuvres de Gabriel Fauré (Ballade, Thème et variations) et la sonate d’Henri Dutilleux. J’aime présenter ces programmes oralement au public lors de mes récitals, car cela crée un lien chaleureux et humain, qui sort du cadre traditionnel du concert de piano pouvant parfois être quelque peu froid et distant. »

Pianistes

On partage la même admiration pour Arcadi Volodos, Aline Piboule cite ensuite volontiers Martha Argerich ou Wilhelm Kempff, Marcelle Meyer, Yvonne Lefébure « mais il y beaucoup de pianistes français que j’apprécie, notamment Philippe Cassard pour son art du phrasé ».

Projets

« C’est en stand by depuis quelques mois, puisque je vais bientôt maman d’un petit garçon ! Je reprends les récitals à partir du mois de juillet, notamment au Festival de Radio France à Montpellier, aux Rencontres Musicales de Noyers-Sur-Serein, et au Musicales de Normandie. »

Plusieurs projets de disque sont en route et n’attendent plus qu’un label prêt à la suivre dans ses aventures : la musique de Fauré, mais aussi de Debussy, avec une transcription très réussie de La Mer pour deux mains dont Aline Piboule est l’unique interprète : « Je l’ai souvent jouée en concert et c’est toujours un bonheur de sentir l’enthousiasme du public pour ce chef d’oeuvre absolu. »

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