Rencontre avec Eric Tanguy

Rencontre avec Eric Tanguy

Eric Tanguy - Photo : Vahan Mardirossian
Eric Tanguy – Photo : Vahan Mardirossian

Naissance d’une vocation

Eric Tanguy est né en 1968 au sein d’une famille mélomane. Son père, cancérologue, écoutait toutes sortes de musiques, de Bach à Xenakis. C’est à 5 ans qu’il est sidéré par un disque d’Ivry Gitlis jouant les concertos de Tchaïkovsky et de Mendelssohn : « je serai violoniste »… Il prend d’abord quelques cours de piano avant d’aborder le violon vers 6 ans. Deux ans plus tard, il commencera déjà des essais de composition.
A 12 ans, il entre au Conservatoire de Caen où il a l’occasion de rencontrer Ivo Malec lors d’un concert. Celui-ci lui dit « venez me voir au Conservatoire supérieur de Paris (CNSMDP) quand vous serez prêt ». Son professeur de violon, Rodrigue Milosi, lui présente à 17 ans le compositeur d’origine roumaine Horatiu Radulescu (1942-2008) avec qui il étudie pendant quatre ans et qui le forme à la technique spectrale de composition. Il rejoindra en 1988 Ivo Malec (*1925) au CNSMDP où il remportera le 1er Prix de Paris (« curieux, et un peu triste, que ce prix prestigieux ait été supprimé du cursus musical en France ») et entre en 3ème cycle. Malec ayant pris sa retraite, il suit les cours de Gérard Grisey (1946-1988) pendant deux ans. Il sera résident à l’Académie de France à Rome (1993-1994) après avoir remporté le Concours Villa Medicis. C’est à l’occasion de ce séjour à Rome qu’il établit les bases d’un langage modal qu’il n’a cessé de développer depuis.

En 1997, la première de son Concerto pour violon, qui était une commande de l’Orchestre de Paris, provoqua un malentendu d’ordre esthétique avec certains décideurs du monde de la création : « je n’ai plus eu de commande pendant quelque temps – La modalité n’était certes plus en rapport avec le post-spectralisme complexe de mes débuts ».

Sa carrière prendra un essor international lorsque Rostropovitch lui commandera et créera son Deuxième Concerto pour violoncelle aux Flâneries Musicales de Reims en 2001, le jouant ensuite à Boston et New York sous la direction de Seiji Ozawa. Lui demandant pourquoi il jouait sa musique, Rostropovitch lui répondit qu’il avait décidé de le faire « parce que j’ai vu dans ta musique des choses que je n’ai pas vues ailleurs… ».

Géographie sonore

Quand on lui demande quels compositeurs l’ont marqué, la réponse vient sans hésiter : Henri Dutilleux (« quel scandale qu’il n’y ait pas eu de représentant de l’État à ses funérailles ! « ), Pascal DusapinOlivier Messiaen. Et bien sûr Horatiu Radulescu (« une musique fascinante, inouïe »), comme d’ailleurs les musiques des spectraux Gérard Grisey ou Tristan Murail. « Aujourd’hui, je me sens très proche des compositeurs finlandais Kaija Saariaho ou Magnus Lindberg, dont la singularité des couleurs et du discours musical me touche tout particulièrement. Je suis aussi très admiratif de la puissance d’inspiration de Wolfgang Rihm« .

En outre, Eric Tanguy apprécie vivement le travail de ses collègues Philippe SchoellerThierry EscaichJames McMillanThomas AdesArlene SierraKenneth Hesketh, mais aussi Régis CampoGérard Pesson ou Mark-Anthony Turnage.
Revenant sur Dutilleux (« j’ai toujours été fasciné par l’émotion, le lyrisme, la poésie de sa musique »), je lui demande, mais alors Boulez, Stockhausen, Manoury ? « La musique de Pierre Boulez me semble plus intellectuelle et technique même s’il y a au moins trois périodes dans son œuvre qui a connu un certain adoucissement au fil du temps : comparez Dérive 2 au Marteau sans maître par exemple ! Depuis toujours, une de mes œuvres favorites est Kathinkas Gesang de Stockhausen pour flûte et électronique (réalisée à l’IRCAM). J’ai pour Philippe Manoury beaucoup d’admiration. Par ailleurs, Xenakis figure au panthéon de mes compositeurs préférés. »

Singularité du langage

« Mon catalogue comprend une centaine d’œuvres. Je n’ai jamais oublié le conseil d’Horatiu Radulescu qui me disait ‘avant de juger une de tes partitions, attends 10 ans' ».

« J’écris la musique que je veux, en toute liberté, même si elle est en général issue d’une commande : j’ai très rarement le temps de composer une œuvre juste pour moi. Certaines de mes partitions sont très accessibles, d’autres moins. Mon langage est modal mais n’a rien à voir avec le courant néo-tonal. C’est une erreur technique de confondre la modalité avec la tonalité. Mais dans le fond, la seule chose qui m’intéresse chez les autres créateurs, c’est la singularité du langage quelles que soient les écoles ou les époques. Ainsi, ma vocation de compositeur doit beaucoup aussi à la découverte des œuvres de Vivaldi et de Sibelius que je n’ai cessé d’étudier. »

« J’ai la chance que mes partitions soient jouées dorénavant beaucoup et partout, notamment aux États-Unis. Esa-Pekka Salonen a choisi de diriger ma pièce Affettuoso lors de ses concerts avec le Los Angeles Philharmonic Orchestra au Walt Disney Hall en février 2016.  Ce pays est immense, extrêmement ouvert et dynamique dans sa diversité esthétique ».

Actualités

En septembre 2015, Eric Tanguy sera compositeur en résidence en Angleterre, à l’Open Chamber Music de Steven Isserlis.

Toujours en septembre, Rising pour violoncelle solo, sera créé en Chine à l’occasion du Concours international de violoncelle de Pékin.

En décembre, a lieu en Finlande la première de sa pièce symphonique, Matka (voyage), fruit d’une commande de sa résidence à la Fondation Kone et l’Orchestre de Jyväskylä que dirige Ville Matvejeff. Par ailleurs, cet orchestre, qui avait proposé un portrait de sa musique tout au long de l’année 2015, joue en novembre son Concerto pour violoncelle et orchestre n°2.

Il a, entre autres projets, l’écriture d’un Troisième Concerto pour violon pour Renaud Capuçon, d’un concerto pour piano pour Nicholas Angelich et Daniel Harding, d’un concerto pour percussions (commande finlando-norvégienne), ainsi que d’un concerto pour clarinette pour Pierre Génisson.

Ici, sa pièce Invocation par Benedict Kloeckner :

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