Lise de la Salle – Robert Schumann

Lise de la Salle – Robert Schumann

Lise de la Salle - Robert Schumann
Lise de la Salle – Robert Schumann

Ce n’est pas parce qu’elle est blonde aux yeux verts, enfant prodige, avec des pochettes un peu gnangnan, que Lise de la salle n’est pas une pianiste inintéressante, en témoigne ce nouveau disque Schumann. Je passe sur son interview passe-partout (on peut la voir par ailleurs en vidéo déclarer intéressant de donner les 4 Ballades « finalement peu jouées »…). Mais pour avoir interviewé pas mal d’artistes, on sait combien il est difficile de parler sur la musique.

Je voudrais ici m’intéresser plus particulièrement aux 13 Scènes d’enfants en comparant sa version, dans une approche bien sexiste, j’en conviens, à celle des ses consœurs, sans faire référence aux chantres « allemands » genre Schnabel, Cortot ou Kempff.

Berg – Pfitzner – Rêverie

Auparavant, un point sur le fameuse polémique d’Alban Berg vis-à-vis d’Hanz Pfitzner, ce compositeur allemand célèbre en son temps, aussi conservateur que xénophobe, qui voyait dans l’atonalisme une forme de bolchévisme… on verra plus tard qu’il n’en était rien… (on notera que, de par sa position à Munich, Kubelík était un des seuls à dririger du Pfitzner tout en jouant régulièrement des œuvres de la 2e École de Vienne (créant par exemple l’Échelle de Jacob).
Si je le fais, c’est que cette polémique relativement célèbre de 1920 est très peu documentée sur le Web (une seule version française, mais avec une illustration illisible de la partition annotée par Berg). « L’impuissance musicale de la ‘nouvelle esthétique’ de Hanz Pfitzner » peut se trouver dans Alban Berg – Écrits, Christian Bourgeois éditeur – 1999.
À Pfitzner, qui déclare « {…] en présence d’une mélodie comme celle-ci, on perd complètement pied. L’on peut reconnaître sa valeur, on ne saurait la démontrer. Pour faire à son sujet l’accord des opinions, l’intelligence ne sera d’aucun secours; on est sensible à son charme ou on ne l’est pas. » Berg va s’attacher à démontrer qu’au contraire l’analyse musicale permet de comprendre l’impact émotionnel de cette musique :

Comment celui-ci ose-t-il identifier avec le plus grand sérieux, la mélodie de la Rêverie à un simple « accord parfait ascendant » ? Plutôt que dans le nombre de ses motifs, la beauté de cette mélodie ne réside-t-elle pas dans leur prégnance exceptionnelle, dans les rapports multiples qu’ils entretiennent entre eux et dans leur emploi prodigieusement varié ? Et ne sont-ce pas là les caractéristiques d’une mélodie véritablement belle ? Que celle-ci puisse être conçue comme un accord parfait ascendant est bien son moindre avantage ! Dans ce trait mélodique, inlassablement répété, n’est-ce pas avant tout la note mi, étrangère à l’accord de fa majeur, qui nous frappe et nous charme ? Il ne faut pas perdre de vue que tout ce premier membre de phrase constitue déjà une variation – et quelle variation ! – du premier intervalle de quarte. Celui-ci apparaîtra plusieurs fois encore, dans la petite phrase descendante qui suit (b, c, d) ; il se transformera, au gré des occasions harmoniques, en des intervalles toujours différents. La place m’étant comptée, je dois me contenter d’attirer l’attention du lecteur sur toutes les autres variantes mélodiques, principalement sur celles de la phrase descendante (x, y, z). Je m’attarderai seulement à sa dernière apparition. Pour la première fois, nous quittons la note la plus aiguë des quatre mesures en effectuant un saut de sixte. Le motif est employé dans sa forme renversée et comprend, outre ses intervalles conjoints habituels, le premier intervalle disjoint de ces différentes variantes. Il y a là, tant sur le plan mélodique que du point de vue de l’harmonie, une sorte de retour au point de départ, la réintégration d’un état originel, c’est-à-dire tout le contraire de ce que l’on nous dépeint comme étant « profondément perdu en lui-même ». L’affirmation de Pfitzner, selon laquelle il dénie au rythme de cette mélodie nulle finesse ne témoigne pas, elle non plus, d’une grande clairvoyance. Le déplacement des accents sur des temps indifféremment forts ou faibles, déplacement qui s’opère tout au long de la pièce, n’apparaît-il pas à l’auditeur comme un raffinement fort sensible ? Il est dû à la figure ascendante (a), qui retarde chaque fois d’une noire la valeur du temps levé. Bien qu’il s’opère dès les deux premières mesures, ce déplacement semblera particulièrement remarquable à quiconque examine de ce point de vue les terminaisons respectives – médianes et finales – des différentes phrases de quatre mesures. Celles-ci s’achèvent :
en A (et en E), sur la deuxième noire ;
en B (après une double croche d’appoggiature), sur la troisième noire ;
en C, sur la quatrième noire ;
en D (qui n’est apparemment que la répétition conséquente de B, mais, encore que c’eût été possible du point de vue harmonique, ne se termine pas comme B), sur la quatrième noire ;
en F, enfin, sur la troisième noire, tout en se distinguant sensiblement de B par son rythme.
Ces quelques remarques descriptives ne donnent-elles pas déjà une idée plus juste de notre mélodie, ne nous aident-elles pas, mieux que les paroles dithyrambiques, mais parfaitement inutiles (sinon déformantes) de Pfitzner, à reconnaître ses qualités singulières? Veut-on mesurer l’insuffisance de la méthode analytique pratiquée par ce dernier, la misère dont serait frappée une mélodie conforme à ses définitions ? Il suffit pour cela de lire les quatre mesures que j’ai notées en passant au-dessus du texte original de Schumann. Les finesses mélodiques et rythmiques que nous avons découvertes dans celui-ci ont été systématiquement éliminées, le deuxième membre de phrase n’est plus, cette fois-ci, qu’« un accord parfait ascendant » et le second motif – dont Pfitzner n’a même pas cru devoir faire mention – a été simplifié à l’extrême. Seul le squelette harmonique de Schumann reste inchangé.
Mais lui non plus n’est pas fait d’une étoffe tellement ordinaire! Ici comme ailleurs, Pfitzner, en se contentant de signaler la présence des « tonique, dominante et sous-dominante », semble n’avoir pas remarqué les finesses multiples et inhabituelles de la matière harmonique. Pourtant, quelle originalité, une fois de plus! La structure interne de chacune des petites phrases est remarquable. Par exemple, dans les quatre premières mesures, les changements d’harmonie s’effectuent à des intervalles chronologiques dont la longueur décroît, puis croît progressivement (5/4 ; 3/4 ; 1/4 ; 2/4 ; 1/8 ; 1/8 ; 1/4 ; 3/4 ; 5/4 ; etc.). La fonction de chaque phrase dans la pièce entière n’est pas moins concertée. Nous retiendrons particulièrement l’aspect toujours renouvelé des sommets harmoniques respectifs. Ils peuvent être exprimés par la progression de dissonance que voici :
en G (et K), un accord parfait; en H, un accord de 7e ;
en I (et J), un accord de 9e mineure.
S’il s’agissait vraiment, comme le veut notre auteur, « d’un petit lied où ne sont employées que la tonique, la dominante et la sous-dominante », la deuxième reprise des huit premières mesures devrait automatiquement amener la répétition des mêmes événements harmoniques (G et H). Simplement, le deuxième membre de phrase de quatre mesures, au lieu de moduler à la dominante, devrait nous ramener à l’accord final de tonique. Cela pourrait s’effectuer par une simple transposition à la quarte supérieure. Au lieu de cela, au lieu de l’accord de septième de dominante du relatif mineur qu’il y avait en H, la réapparition de la tonique est préparée d’une manière originale du fait que surgit en cet ultime point culminant, soit en L, un accord de 9e majeure.

rev1rev2rev3L’harmonie la plus forte a donc été réservée pour la fin. A partir de ce moment-là se dessine une cadence qui présentera – pour la première fois dans toute la pièce – par deux fois de suite la même tournure finale (c 2) harmonisée toutefois de deux manières différentes. On ne voit pas bien, en vérité, ce qu’il y a là de tellement habituel! Probablement, la spéculation théorique est restée étrangère à la conception de ce morceau, comme elle l’est en général à toute composition. Il n’en reste pas moins vrai qu’une terminaison semblable n’eût guère pu être inventée sans un minimum d’intention rationnelle, sans que l’inspiration ait cherché aide et assistance auprès du savoir musical.
« Pour bien comprendre cette musique, il est non seulement utile, mais absolument indispensable de se faire d’elle une représentation théorique aussi précise aussi complète que possible. Certes, l’on ne devra pas procéder à la manière de Pfitzner, dont l’art de dresser un signalement musical rappelle un peu trop les conventionnelles « descriptions administratives de personnes », où rien n’est jamais jaugé qu’à la mesure du « normal » et de l’« ordinaire ». Pour quelque bureaucrate encroûté et dénué de scrupule, le célèbre portrait de Schumann, celui-là même où il est représenté la tête appuyée dans la main, ne pourrait donner lieu qu’à la remarque habituelle : « signes distinctifs : néant. » C’est exactement ce que fait Pfitzner à propos de la Rêverie. Et pour accentuer davantage la prétendue banalité, l’absence de tous signes distinctifs, soi-disant caractéristiques de cette composition, il la définit, avec une désinvolture extrême – mais entre guillemets – comme répartie « pour piano à deux mains ». Or il suffit d’un seul coup d’œil sur le texte pour s’apercevoir que l’on est ici – quelques mesures mises à part -en présence d’une très stricte écriture à quatre parties, définie comme telle par son style contrapunctique tout autant que par la tessiture des différentes voix. Je n’en veux pour preuve que le simple fait qu’elle pourrait être exécutée fort aisément par un quatuor à cordes, par un ensemble d’instruments à vent ou même par un chœur. »

Rêverie

Si l’on s’intéresse donc à la pièce centrale (n°7 / 13) des Scènes d’enfants par des interprètes féminines, on tombe fatalement sur Martha Argerich : difficile de départager ses 2 enregistrements studio (DG, EMI) : c’est noyé sous la pédale mais surtout par la poésie.
On n’a pas trouvé les Schumann de Reine Gianoli (mais il faut entendre ses Debussy, quel piano !). Maria-João Pires est plus dans la barre de mesure, mais superbe de sensibilité et de toucher. Zhu Xiao-Mei nous a paru un peu extérieure. La fameuse Guiomar Novaes, malgré les aléas de la prise de son fait montre d’une sensibilité exceptionnelle. Inger Södergren est bien émouvante. « Vovone » Lefebure, assez rapide, est très bien. Clara Haskil aussi, peut-être un peu en deçà de la réputation de son enregistrement. On oubliera une certaine Sheila Arnold, pour passer à Catherine Collard : beau piano qui nous laisse froid. Brigitte Engerer est assez ennuyeuse (décidément on continue à se faire plein d’amis…). Michèle Boegner : idem. Milana Chernyavska : pire. Klara Würtz est sans grand intérêt. Ruth Slenczynska : le son du piano est noyé, l’interprétation aussi. Natasa Veljkovic : c’est nerveux au mauvais sens du terme.
Quant à Lise de la Salle, on goûtera le galbe de la phrase, avec un son de piano clair. D’ailleurs son interprétation du cycle entier est marquée par une grande ‘honnêteté’ vis-à-vis de la partition, honnêteté qui paye car elle donne ainsi pour chaque tableau son caractère propre, sans affect. Une réussite.

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