Interview de Christoph Deluze – Le musicien-médecin

Interview de Christoph Deluze – Le musicien-médecin

Christoph Deluze
Christoph Deluze

Deux images ci-dessus de cet homme « à 2 têtes » : le pianiste et le médecin spécialiste interviewé à la télévision suisse. On peut ainsi fort bien l’imaginer intervenir dans un JT sur les allergies, puis, dans la partie culture, être interviewé par exemple pour son dernier disque Satie… Cette interview est un peu un « coming out », car il n’avait jusqu’ici guère communiqué sur ces deux activités parallèles.

On s’est donné rendez-vous dans le superbe café de l’hôtel du Louvre à Paris dimanche dernier. L’homme est d’un abord circonspect, sévère, mais, au fur et à mesure de notre conversation de près de 2 heures, se révèle d’une profonde humanité. Me connaissant malheureusement, je n’ai pu m’empêcher dès l’abord de lui révéler la non-critique de son disque Satie dans le dernier numéro de Diapason, je n’en citerai même pas l’auteur, tellement c’est insignifiant : il « balance » ce disque (cité dans une demi-page consacrée aux – excellentes – rééditions Praga Digitals au motif que le disque est complété par une superbe version de Parade par Manuel Rosenthal) par : « c’est boitillant et cyclothymique » – un vrai scandale quand on sait la somme de travail que cela représente ! Un peu interloqué au départ, C. Deluze m’explique que sa double casquette de pianiste et médecin lui permet de relativiser ce genre de chose. Et d’ajouter que ces deux métiers ont des points communs : s’il faut un bagage technique pour être pianiste et médecin, lorsque l’on se trouve devant une partition ou un patient, il s’agit bien d’art pour pouvoir interpréter ou soigner correctement…

Fils d’une mère d’origine viennoise qui pratiquait le chant, il fut un élève moyen, consacrant tout son temps au piano. Après des études de musique et ayant notamment suivi l’enseignement de Shura Cherkassky, il se serait consacré à une carrière de pianiste à temps plein si son attrait pour la biologie ne l’avait pas amené à suivre des études de médecine : il cumula alors pendant 2 ans études, petits boulots et pratique du piano, pour finalement être admis à l’université – tout en donnant des concerts pour pouvoir poursuivre ses études, puis choisi par un professeur de médecine (le premier sur cent… l’homme est modeste), un amateur de musique sans doute, qui lui aménagea son emploi du temps afin de lui permettre de poursuivre en parallèle son activité de musicien. Ayant ainsi bouclé ses études, devant l’attente des patients et par reconnaissance envers le gouvernement helvétique de lui avoir en quelque sorte financé ses études, il ne put se résigner à abandonner la médecine et mena en parallèle ses deux activités.
Cette double occupation (un peu comme Borodine, lui-même tiraillé entre ses activités de compositeur et de chimiste), une contrainte donc en termes de temps consacré à l’instrument  – lui donne finalement une grande liberté : la relative aisance financière connue depuis qu’il a son propre cabinet et est devenu un allergologue célèbre dans son pays lui permet de n’accepter que les engagements qui lui conviennent, que ce soit pour des raisons pratiques ou de répertoire.

Mais revenons au musicien : parmi ses enregistrements, un disque César Cui, les Préludes pour piano de Kabalevsky, chez Pavane records, puis une autre bande avec les 3 sonates pour piano du même, qui furent en fait éditées par Praga Digitals, et, chez ce même éditeur, avec sa qualité technique bien connue, ce dernier enregistrement Satie.

Christoph Deluze nous a confié qu’il a passé beaucoup de temps à bâtir ce projet Satie, afin de présenter un panorama varié de son œuvre pour piano, tout en en proposant une structure (les pièces s’enchaînent en fonction de leur tonalité). Il affirme que les indications de Satie dans ses partitions, qui peuvent apparaître souvent farfelues, ne le sont point, même celles du genre « ne mangez pas trop », mais qu’au contraire, elles incitent l’interprète à réfléchir sur la partition – partition d’ailleurs très précisément notée, jusque dans les silences, si importants.

De même il insiste sur le message de Satie : pour lui, « Erik Satie aurait-il été un précurseur en nous invitant à se débarrasser du trop, du superflu qui nous encombre, pour retrouver notre vraie identité et nos valeur ? ». Il estime que la musique de Satie, comme celle de Scriabine, d’ailleurs, permet de porter un autre regard sur les autres et sur soi-même et va au-delà de la simple conception musicale. Je lui ai demandé s’il trouvait un autre pianiste à son goût et il m’a cité volontiers Jean-Yves Thibaudet.

Grand amateur de Bösendorfer, il estime que les pianistes ont de plus en plus souvent tendance à jouer trop fort, trop vite et à mettre trop de pédale, tout en négligeant trop la pédale du milieu. Interrogé sur ses pianistes préférés, ses 2 premiers choix immédiats m’ont surpris : Byron Janis, d’abord, sur lequel il ne tarit pas d’éloges, et Jorge Bolet ; mais aussi Wilhelm Kempff, qu’il a fréquenté, Krystian Zimmerman et Arcadi Volodos.

Parmi ses projets : un CD sur la musique pour piano de son compatriote Franck Martin, mais je lui ai indiqué que Forgotten records allait en sortir un – lien.
Il est donc grand amateur de la musique de Scriabine – une de ses grandes émotions a été de se voir félicité par une vieille dame à l’occasion d’un concert en Europe de l’Est : elle avait bien connu Sofronivsky et lui déclara qu’elle n’avait jamais entendu meilleure interprétation depuis la mort du pianiste russe. A ce titre, il verrait bien l’enregistrement d’un CD mêlant les musiques de Monpou et de Scriabine. A suivre !

 

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