François Sarhan : Une nouvelle génération de compositeur – A new generation of composer

François Sarhan – Interview

François Sarhan
François Sarhan

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François Sarhan avait bien voulu nous envoyer un CD récent de ses œuvres : « Pop up« , qui nous avait emballé. Après nous être rencontrés, il a bien voulu répondre à ce questionnaire. Pour plus d’informations sur cet artiste aussi talentueux que « multi-médias », une visite de son site Web s’impose.

Thierry Vagne : Vous êtes un artiste de formation musicale «classique» (Conservatoires : violoncelle et composition, études avec Ferneyhough, Harvey, Manoury, Lindberg, à l’IRCAM) et pourtant votre production se tourne de plus en plus vers des activités « hybrides » ou multidisciplinaires. Pouvez-vous décrire votre démarche et la situer dans l’environnement de la musique contemporaine actuelle ?

François Sarhan : Mon objectif est la fois plus général et plus précis que la composition musicale. Plus général, parce qu’il ne se préoccupe pas beaucoup des moyens, que ce soit les mots, l’image, le son, la combinaison de tout cela, et plus précis parce que je vise à répondre à quelques questions du type : quel est le rapport entre l’activité idéaliste individuelle et une société, ou encore qu’est-ce qu’on appelle la connaissance, le savoir ? Comment s’articule la pensée, la connaissance, la mémoire, l’imagination ? Pour cela je décline quelques motifs, quelques directions, indépendamment d’un environnement, qu’il soit celui de la musique contemporaine, ou de l’art visuel, ou du cinéma. La spécialisation dans ce domaine me fait penser à quelqu’un qui ne mangerait que des gâteaux ou que du riz. J’y vois un risque d’anémie, voire de mort. Je ne nie pas la nécessité d’un engagement dans ces domaines, je nie la professionnalisation qui fait s’interroger plus sur le comment que sur le pourquoi. La technicité, la virtuosité, l’excellence dans une discipline me paraissent suspectes, quand cette technicité est héritée, apprise. On ne devrait pas enseigner l’art, on devrait le désapprendre, et je me dois de trouver ma technique pour mon propos. Donc le multidisciplinaire, l’hybride, l’IRCAM ou autres ne sont que des outils conceptuels ou techniques très peu importants.

TV : Lors de notre récente rencontre, il m’a semblé néanmoins percevoir votre profond attachement à « l’histoire de la musique occidentale», en est témoin votre ouvrage « Introduction à la musique classique ». Pouvez-vous nous faire part de vos jardins secrets dans le répertoire classique et contemporain ?

FS : J’aime la musique, oui, classique très peu, ancienne (avant Bach) oui, après Brahms beaucoup. L’Histoire de la musique que j’ai écrite était une commande, et ne représente pas bien ce que je ferais si on m’avait laissé libre, j’aurais introduit beaucoup d’éléments inventés, ou de sujets plus transverses. Dans la musique contemporaine, je suis toujours intéressé par Stockhausen, qui a une ambition que j’admire, et dont certaines œuvres me touchent beaucoup (Cosmic Pulses, etc.). J’aime certaines choses qui se font dans les musiques amplifiées, qui travaillent avec les micros, avec l’instrument invisible, le multiplicateur magique qu’est le système de diffusion. En général, j’aime voir des choses nouvelles, non nécessairement parce qu’elles sont nouvelles (d’ailleurs il y en a très peu) mais parce que quand elles sont nouvelles et réussies, elles me donnent de l’espoir sur le renouvellement, la créativité, etc.

TV : J’ai fait entendre à mes enfants l’nfer : mon fils – 19 ans dont les connaissances musicales vont jusqu’à Daft Punk, m’a dit « c’est un peu moins pire que d’habitude » (Schoenberg, Manoury…), ma fille, 16 ans, qui s’arrête en gros aux Beatles déclara ça inaudible (en d’autres termes en fait…). Comment faire apprécier à des gens « normaux » les musiques disons sophistiquées (soit tous les courants depuis le début du XXe siècle, hormis les « néo-bobo » et certains minimalistes) ?

FS : Je suppose que des écoutes répétées et guidées peuvent aider, et assister à des concerts, aussi, parce que l’impact sonore du direct, voir les musiciens jouer est essentiel. Avoir une éducation musicale (instrument) peut aider aussi, quoiqu’elle puisse jouer a contrario. Je suppose donc que les emmener dans ce genre de concerts peut les amener à avoir une écoute plus fine. Cela dit, l’Nfer reçoit parfois des commentaires négatifs aussi des aficionados de la musique contemporaine, parce que précisément, ce n’est pas assez près de « Schœnberg, Manoury… »

TV : Vous avez participé aux réactions à la dorénavant fameuse pantalonnade Ducros / Beffa au Collège de France, et l’on s’est connu grâce à mon papier à propos de la charge de Luc Ferry contre la musique contemporaine. Que vous inspirent ces méchantes attaques ?

FS : La question posée superficiellement par ces gens est dépassée depuis longtemps : « est-ce qu’on peut faire de la musique hors système tonal ». La vraie question qu’ils posent est : « est-ce que ma mèche est bien mise », en d’autres termes, ils veulent être reconnus, joués, appréciés pour leurs productions, et pour cela ils utilisent la vieille arme de la démolition du voisin (en l’occurrence une grosse quantité de musique entre 1920 et 2013). Je pense que l’intérêt artistique de ces productions (Beffa, Connesson, etc.) est nul, au sens de zéro, qu’ils sont des résidus d’un système de concert classique et qu’ils sont un générique de Prokofiev ou Brahms ou whoever else. Ils ne s’intéressent ni aux formes, ni aux timbres, ni aux espaces, ni au temps, ni aux nouveaux instruments, qui sont les développements exaltants de ces 80 dernières années. Ils sont encore dans le XIX°. Tant pis pour eux, il est difficile de prendre au sérieux leur peinture du dimanche.

TV : Vous estimez que le rituel du concert symphonique devient obsolète (j’avoue cependant avoir ressenti au moins autant de plaisir musical par exemple à un concert de Svetlanov dans des tubes russes, qu’allongé par terre dans les années 80 pour écouter des études de Ligeti par les frères Kontarsky…). Même si cela a parfois été fait, une bonne approche ne serait-elle pas de présenter avant leur exécution certaines œuvres par des mises en perspective, peut-être à l’aide de documents multimédias ?

FS : Je pense que l’orchestre symphonique est mort, oui, totalement. Il est féodal, pourri d’arthrite et d’un public confit dans des débats d’interprétation, etc. Il aurait dû se transformer radicalement à partir des années 50, mais les résistances bourgeoises et « culturelles » sont si fortes qu’on entendra encore longtemps cet étrange zoo ruineux. A tel point qu’à Paris (où il y a quand même des choses à changer dans la politique culturelle, mondaine, snob, ignarde, peureuse et mafieuse), un auditorium « pour les grands orchestres » est en train d’être construit… Je me demande pour qui, par qui, etc. Ensuite, en ce qui concerne les œuvres, je crois qu’il ne faut pas mélanger ce qui a été conçu pour le concert, et qui le plus souvent ne sera jamais aussi bien servi que par le concert, et les projets conçus pour d’autres monstrations, circulaires, en plein air, déambulatoire, etc. Dans ce domaine c’est certainement Xenakis et Stockhausen qui ont vraiment cherché dans la direction d’une nouvelle diffusion du son et c’est avec eux qu’un renouvellement du concert a été le plus convaincant (surtout Stockhausen), et non une pose. Il y a donc là une question artistique. Quant à la présentation des œuvres avant le concert certes, mais c’est un autre sujet, qui est celui de la pédagogie. C’est alors une question de médiation de l’œuvre.  

TV : Enfin, pouvez-vous décrire votre activité d’artiste « pictural » qui semble prendre de l’importance ?

FS : Comme je le disais précédemment, il s’agit d’une partie de mon activité qui intervient quand nécessaire, c’est-à-dire le plus souvent pour l’Encyclopédie, la partie livre de l’Encyclopédie. Il s’agit d’un livre qui mélange à parts égales les collages, dessins, textes. 

Mais dire « artiste visuel », pour moi, c’est encore une autre démarche, plus exclusive, plus concentrée, mais aussi plus à l’intérieur d’un système.

 


François Sarhan – Interview

François Sarhan sent us a recent CD: “Pop up”, which we enjoyed very much. After a first encounter, he agreed to answer to this questionnaire. For more information on this artist as talented as multimedia, a visit of his Web site is essential: www.fsarhan.com

Thierry Vagne: You are an artist of “traditional” musical formation (Academies: cello and composition, studies with Ferneyhough, Harvey, Manoury, Lindberg, at the IRCAM) and yet your production moves more and more towards “hybrid” or multidisciplinary. Could you describe your approach and locate it in the current environment of contemporary music?

François Sahran: My objective is at the same time more general and more precise than the musical composition. More generally, because it is not really concerned by the means, as words, the image, sound, the combination of all that, and more precise because I aim at answering some questions of the type: which is the relationship between the individual idealistic activity and a society, or what one calls thinking, knowledge, memory, imagination? How are articulated thought, knowledge, memory, imagination? For that I decline some patterns, some directions, independently of an environment, would it be contemporary music, visual art, or cinema. Specialization in a single domain makes me think of somebody who would eat only cakes or rice. I see a risk of anemia there, even of death. I do not deny the need for an engagement in these fields, I deny the professionalization which makes wonder more about how than on why. Technicality, virtuosity, excellence in a discipline seem to me suspicious, when this technicality is inherited, learned. One should not teach art, one should unlearn, and I must find my technique for my purpose. Thus multidisciplinary, hybrid, the IRCAM or others is only conceptual or technical tools far from important.

During our recent meeting, it seemed to me nevertheless to perceive your deep attachment to “the history of the Western music”, is witness your book “Introduction to the classical music”. Can you share with us your secret gardens in the classical and contemporary repertoire?

FS: I like the music, yes, classical very little, old (before Bach) yes, after Brahms much. The History of the music I wrote was an order, and does not represent well what I would do if one had left me free, I would have introduced many invented elements, or more transverse subjects. In the contemporary music, I am always interested by Stockhausen, which has an ambition that I admire, and whose certain works touch me much (Cosmic Pulses, etc). I like certain things which are done in amplified musics, which work with the microphones, with the invisible instrument, the magic multiplier which is the system of diffusion. In general, I like to see new things, not necessarily because they are new (moreover there are few of them) but because when they are new and successful, they give me hope on the renewal, the creativity, etc

TV: I made my children listen some minutes to L’nfer: my son – 19 whose musical knowledge goes up to Daft Punk, said “it to me sounds a little less worse than usually” (Schoenberg, Manoury…), my daughter, 16, whose musical knowledge stops approximately to the Beatles declared that inaudible (in other words in fact…). How to make “normal” people appreciate musics let us say sophisticated (either all currents since the beginning of the XXe century, except the “neo” and certain minimalists)?

FS: I suppose that repeated and guided listenings can help, and attending to concerts, also, because of the impact of direct sound, to see the musicians playing is essential. To have a musical education (instrument) can also help, though it can play a contrario. I thus suppose that to take them along to this kind of concerts can lead them to have a finer listening. However, L’nfer receives sometimes negative comments also from aficionados of contemporary music, because precisely, it is not enough close to “Schœnberg, Manoury…”

TV: You took part in the reactions to henceforth famous the farce Ducros/Beffa within the College of France, and we have met eachothe thanks to my paper in connection with the charge of Luc Ferry against contemporary music. What inspire these malicious attacks to you?

FS: The question put superficially by these people is is long overdue: “can we make music apart of the tonal system”. The true question that they pose is: “is my wick is well put?”, in other words, they want to be recognized, played, appreciated for their productions, and for this reason they use the old weapon of the demolition of the neighbors (in fact a large quantity of music between 1920 and 2013). I think that the artistic interest of these productions (Beffa, Connesson, etc) is null, within the meaning of zero, that they are residues of a traditional concert system and that they are residue of Prokofiev or Brahms or whoever else. They are interested neither in the forms, neither with the tones, neither with spaces, neither with time, nor with the new instruments, which are the exciting developments of these 80 last years. They are still in the XIX°. Too bad for them, it is difficult to take with serious their Sunday painting.

TV: You estimate that the ritual in the symphonic concert becomes obsolete (I however acknowledge to have felt at least as much musical pleasure for example to a concert by Svetlanov in Russian hits, as lying on the ground in the Eighties to listen to studies by Ligeti with the Kontarsky brothers…). Even if it is sometimes done, a good approach wouldn’t be to present before their execution certain works by a perspective, perhaps using multimedia documents?

FS: I think that the symphony orchestra died, yes, completely. It is feudal, is rotten with arthritis and a crystallized public lost in debates of interpretation, etc. It should have changed radically from the Fifties, but middle-class and “cultural” resistances are so strong that this strange ruinous zoo will be heard for still a long time. So much so that with Paris (where there are nevertheless things to change in the policy cultural, fashionable, snob, ignorant, timorous and mafia), an auditorium “for the full orchestras” is to be built… I wonder for whom, by whom, etc. Then, with regard to works, I believe that one should not mix what was conceived for the concert, and which generally as well will never be been better done by the concert, and projects conceived for other circumstances, circulars, in the open air, ambulation, etc. In this field it is certainly Xenakis and Stockhausen which really sought in the direction of a new diffusion of the sound and it is with them that a renewal in the concert was most convincing (especially Stockhausen), and not a way to show off. There is thus an artistic question. As for the presentation of works before the concert certainly, but this is another subject, the pedagogy. It is then a question of mediation of the work.

TV: Lastly, can you describe your activity of “pictorial” artist which seems to take more and more importance?

FS: As I said it previously, it is about a part of my activity which intervenes when necessary, i.e. generally for the Encyclopaedia, the book part of it. It is about a book which mixes equally shares collages, drawings, texts. I decline some of these images in the form of large size collages. But being a visual artist, for me, is another step, more exclusive, more concentrated.

 

 

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