Conversation avec Elena Bashkirova

Son père, le grand pédagogue du piano, Dmitri Bashkirov

EB : C’est un jeune homme de 86 ans ! Je le vois plus souvent maintenant, il est toujours très actif et voyage encore beaucoup.
TV : J’ai visionné quelques vidéos de ses cours : il a l’air rude avec ses élèves ?
EB : C’est un passionné, il n’a pas beaucoup de patience avec ceux qui n’en n’ont pas : il a de la patience avec les étudiants qui ne peuvent pas mais pas avec ceux qui ne veulent pas ! Pour travailler avec lui, il faut avoir de la passion et un certain fanatisme pour la musique.
J’ai étudié officiellement trois années avec lui, mais déjà très jeune j’ai pu assister à des heures et des heures des cours qu’il donnait. Mais c’était plus que des cours au Conservatoire : les étudiants faisaient en quelque sorte partie d’une grande famille. Ils venaient souvent à la maison dîner, écouter de la musique, discuter,  je me remémore ces moments avec un peu de nostalgie je dois dire. Ma mère est également musicienne, violoniste ; elle a joué notamment avec l’orchestre de Radio Moscou, ou encore au Bolchoï.

Daniel Barenboim

TV : Je n’ai pas trouvé beaucoup de traces d’occasions où vous vous produisez avec votre mari, que ce soit en duo ou en concerto ?
EB : C’est normal qu’il y ait peu de traces : on essaie de ne pas en laisser ! On a dû jouer ensemble deux ou trois fois pour des soirées spéciales. Dès le début, on a voulu séparer la vie privée de la vie professionnelle et je pense que c’est une très bonne décision.

TV : C’est curieux que vous n’ayez pas votre propre site internet ?
EB : Je pense que je suis trop paresseuse et surtout je n’ai pas vraiment le temps pour m’en occuper sérieusement. À quoi bon faire un site qui ne sera pas mis à jour régulièrement ?

TV : Lui avez-vous parlé de mes listes discographiques de Daniel Barenboim pianiste et chef ?
EB : Oui, je ne pense pas qu’il les ai vues, mais le projet l’a impressionné !

TV : Vous m’aviez dit il y a deux ans que vous appreniez presque chaque année un nouveau concerto de Mozart. On en est où ?
EB : L’an dernier, c’était le Concerto pour piano n° 13 en ut majeur K. 415, magnifique ! Cà apporte énormément, et le plus on en étudie ces œuvres, cela devient comme nager dans une eau que l’on connaît.

TV : Lors de votre dernier récital à Paris, j’ai remarqué que – Mozart mis à part – vous aviez interprété des œuvres que Daniel Barenboim n’a jamais enregistrées (ou peut-être jouées) ?
EB : [rires] Ce n’est pas fait exprès ! En fait je n’écoute pas beaucoup ses enregistrements ; c’est vrai qu’il n’a jamais fait la Première sonate de Schumann et c’est dommage sans doute, mais on ne peut pas tout faire. J’aime beaucoup la Quatrième sonate de Scriabine, inspirée par Tristan : elle est courte, mais tout est là. J’aime cette sonate plus que toutes les autres : elle est au milieu de son parcours entre les premières inspirées par Chopin et les dernières plus ésotériques.

Musique contemporaine

TV : J’ai l’impression que la musique contemporaine vous intéresse mais que vous la pratiquez peu ?
EB : J’en écoute souvent, mais ça me prend beaucoup de temps pour apprendre les partitions. Je sais qu’il y a des musiciens pour qui c’est facile, un peu comme ceux qui ont une grande facilité d’acquisition d’une langue étrangère. J’essaie de faire cet effort mais j’avoue que ce n’est pas la chose la plus importante pour moi. Pour de nombreux jeunes comme mon fils Michael, violoniste, pratiquer le répertoire moderne est quelque chose de tout à fait normal. Mais d’un autre côté, j’écoutais hier une répétition d’un quatuor à l’Académie de mon mari : ils jouaient d’abord la Grande fugue de Beethoven puis une œuvre de musique contemporaine et je trouvais Beethoven finalement plus moderne ! Pour moi c’est important – en tout cas quand le cerveau est assez jeune pour assimiler des partitions complexes…- d’apporter le même soin, le même engagement ou la même expressivité à la musique contemporaine qu’à Beethoven ou Brahms par exemple.

Festival international de musique de chambre de Jérusalem

Je suis en train de faire la programmation pour le prochain festival, du 4 au 8 septembre : on le fait dorénavant un peu plus court, concentré. Il y aura 7 concerts en 5 jours et on fait également un week-end en février. Il y a la nécessité maintenant de trouver un nouveau public : les gens de la génération précédente faisaient partie d’une sorte d’intelligentsia qui avait immigré d’Europe et qui avait donc une culture européenne. C’était pour eux un besoin d’écouter cette musique. La génération suivante est peut-être moins cultivée ou moins curieuse et il nous faut trouver de nouvelles solutions. Ils sont, disons, plus conventionnels, mais ce n’est pas pour autant que je veuille faire des programmes conventionnels ! Je pense que c’est bien de rendre le festival plus concentré : les gens peuvent ainsi venir d’autres villes du pays pour passer par exemple un long week-end à Jérusalem.

Rencontres

TV : On ne va pas faire la liste de tous les artistes que vous avez pu rencontrer vous-même ou par l’intermédiaire de votre mari, mais vous aviez joué par exemple les Variations symphoniques de Franck avec Sergiu Celibidache ?
EB : Oui, il me faisait un peu peur avant de le rencontrer, mais il a été très gentil. Il est venu travailler de nombreuses heures chez moi à Paris car il n’avait pas de piano chez lui à l’époque. J’en garde un très bon souvenir. Vous me dites préférer Kubelík à Celibidache et je le comprends fort bien : Kubelík c’était l’émotion, la spontanéité, alors que Celibidache était plus cérébral. J’écoute souvent les enregistrements de Kubelík, c’était pour moi l’interprète idéal de Dvořák ou je pense à cette merveilleuse vidéo de Ma patrie à Prague.

Je profite de l’occasion pour lui demander si elle était présente lors de la fameuse soirée chez Daniel Barenboim, après que Kubelík ait donné la 4e de Mahler avec l’Orchestre de Paris à la salle Pleyel. (Cf. https://www.youtube.com/watch?v=-VVqPR44aZ8)
EB : Oui, je vois bien à quelle soirée vous faites allusion ! C’était un grand ami, adorable, avec énormément d’humour, on le voyait souvent et l’on parle encore fréquemment de lui.

Projets

J’ai un projet de disque pour l’année prochaine : des pièces de Dvořák, Impressions poétiques que je jouerai d’ailleurs le 15 mai 2019 au Théâtre des Champs-Élysées. C’est une musique extraordinaire, emplie de fraîcheur, de couleurs et très bien écrite pour le piano.

Je viendrai aussi à Paris à la Philharmonie pour deux concerts de musique de chambre les 24 et 25 septembre prochains. Celui du 24 est d’ailleurs consacré à Jérusalem avec les Variations sur un thème de Judas Maccabée de Beethoven, les Chants bibliques de Dvořák, Kol Nidrei de Bruch et Les sept dernières paroles du Christ en croix de Haydn.

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